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Caméras corporelles sur les policiers français : ce que nous apprend l’expérience des États-Unis et du Canada

L’introduction en France des caméras portables au sein des forces de sécurité (police, pompiers) est d’actualité. Sa mise en place, prévue à l’été prochain, vise a améliorer les relations citoyens-police et à accroître la transparence lors des interventions.

Toutefois, les avis issus du « terrain » divergent. Certains y sont favorables, au nom de la protection des droits des citoyens ; d’autres estiment au contraire qu’une telle mesure aurait des effets négatifs sur les interventions car elle instaurerait un climat de voyeurisme et de surveillance excessive de l’action des forces de l’ordre.

En tout état de cause, il est opportun de s’interroger sur les recherches scientifiques effectuées à propos de cette thématique à l’international, aucun résultat d’étude scientifique menée en France n’étant disponible à ce jour. Rappelons que en France plus de 300 communes ont participé à une expérimentation menée de juin 2016 à juin 2018, qui a concerné uniquement les policiers municipaux. Cette expérimentation a fait l’objet d’un rapport destiné au ministère de l’Intérieur. Suspendu suite à l’absence d’encadrement juridique, le port des caméras-piétons a repris officiellement pour la police municipale dès la publication du décret d’application du 27 mars 2019 qui complète la loi du 3 août 2018 autorisant à nouveau l’usage des caméras-piétons par la police municipale.

En Europe, la pratique consistant à équiper les policiers de caméras est déjà appliquée dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et au Danemark. Mais pour l’instant, c’est aux États-Unis et au Canada que des études scientifiques ont été réalisées sur cette question.

Quelles sont les études effectuées à ce sujet ?

Rappelons d’abord qu’il est présumé que les caméras corporelles peuvent avoir un impact dissuasif tant sur les personnes faisant l’objet d’interventions que sur les policiers eux-mêmes : sachant que leur comportement est filmé, les policiers comme les citoyens agiraient d’une façon plus conforme aux attentes sociales liées à ce type de situation.

Une étude fait référence sur cette question : l’analyse des résultats de l’expérience conduite en 2013 à Rialto, en Californie.

Ceux-ci ont révélé que l’emploi de la force par les policiers était deux fois moins fréquent parmi le groupe expérimental (les policiers qui portaient des caméras corporelles) et qu’il y avait eu une baisse de 87 % des plaintes pendant la période d’essai. C’est d’ailleurs cette expérimentation qui a fourni à l’administration Obama la légitimité́ nécessaire pour subventionner les services de police désirant acheter des caméras corporelles en signe de transparence envers la population.

Une étude de suivi qui a duré quatre années a indiqué que la baisse du recours à la force par la police s’est maintenue dans le temps. Il est à préciser que la ville de Rialto a enregistré́ une baisse spectaculaire des plaintes visant les policiers. On observera le même effet dans d’autres villes américaines, dont Mesa (Arizona), à Phoenix (également en Arizona), Orlando (Floride), Las Vegas (Nevada), Milwaukee (Wisconsin) et Spokane (État de Washington) ainsi que dans sept autres villes non précisées.

Une autre étude, publiée en 2014 par l’Université d’État de l’Arizona, présente les témoignages de 249 personnes ayant été en interaction avec des policiers portant des caméras corporelles.

Il en ressortait que les personnes qui étaient au courant de l’existence des caméras ont perçu les actions des policiers comme étant plus « justes » que celles des policiers qui n’en portaient pas.

Depuis les premières revues de littérature publiées aux États-Unis, une deuxième série de recensions a été publiée afin de mettre à jour les informations. Elles ont été suivies de dizaines d’articles scientifiques et de rapports d’évaluation. Tous ces travaux permettent de dresser plusieurs constats.

La majorité des analyses empiriques a porté sur l’impact des caméras corporelles ou sur le comportement des personnes impliquées directement dans une intervention policière filmée ; très peu ont porté sur les enregistrements issus des caméras, à quelques exceptions près. En général, ces études portent d’ailleurs sur les biais potentiels liés à la présence des caméras corporelles.

Presque toutes les évaluations de l’impact des caméras corporelles mesurent généralement cet impact sur trois dimensions, qualifiées de « Big Three » : la résistance citoyenne, l’emploi de la force par la police et les plaintes envers des policiers.

Ainsi, trois études ont été conduites au Canada, à Edmonton en 2015, à Toronto en 2016 et à Montréal en 2019. Des effets positifs ont été observés : une plus grande facilité à évaluer la pertinence des plaintes envers les policiers, une diminution de l’agressivité et de l’impolitesse des citoyens (Edmonton) ainsi que la perception qu’il était adéquat que l’intervention soit filmée (Toronto).

Il est précisé que l’impact des caméras corporelles dépendait toutefois de la situation et n’était pas généralisé à̀ toutes les interventions policières. Malgré cela, dans les trois cas, la présence des caméras ne s’est pas accompagnée d’une réduction significative en termes d’emploi de la force par la police (est-ce bien l’idée ? Oui).

Des résultats contrastés

Aux États-Unis, la baisse spectaculaire de l’emploi de la force observée à Rialto et ailleurs a accéléré le déploiement des caméras corporelles, qui sont utilisées depuis sept ans par 95 % des polices des États-Unis. Les policiers portant des caméras corporelles auraient aussi davantage tendance à procéder à l’arrestation du conjoint agresseur dans les cas de violence conjugale et à effectuer globalement moins d’interpellations. Ce qui, dans le contexte de remise en question de la légitimité de la police, peut être interprété comme un effet positif.

On a donc, d’un côté, des études neutres au Canada, et de l’autre des études positives aux États-Unis. Mais aucune étude négative à ce jour.

  • Des études « neutres » au Canada : les services de police d’Edmonton (2015), de Toronto (2016) et plus récemment de Montréal (2019) n’ont pas observé́ de changement radical lors de leurs projets pilotes.

  • Des études positives : aux États-Unis, les caméras corporelles ont été associées à des baisses statistiquement significatives de l’emploi de la force, des plaintes envers les policiers, des agressions envers les policiers, des comportements entravant le travail policier et de la contestation judiciaire. Il est également noté une amélioration de la productivité policière, de la satisfaction des citoyens des services offerts et du niveau de politesse des citoyens et des policiers lors des interventions.

Quelques conclusions provisoires

  • L’aspect culturel du pays est à considérer dans l’usage de l’outil : au Canada, les résultats sont à nuancer dans la mesure où les relations citoyens-police sont très bonnes. Celles-ci pourraient être un facteur déterminant dans la réussite de l’implémentation des caméras corporelles.

  • Les caméras corporelles ne pourraient avoir un impact significatif qu’aux endroits où la police agit de façon problématique.

  • La perception des caméras corporelles par les publics reste un élément déterminant pour une adoption de l’outil.

Une étude récente explore cette question. Wallace, White, Gaub et Todak (2018) rappellent que les caméras corporelles sont souvent présentées et comprises comme un outil de surveillance permettant aux organisations policières de démontrer la transparence de leur travail, et à la société d’examiner le travail des policiers (Tanner et Meyer, 2015). Une autre étude (Lollia,2020) montre qu’il est utile avant tout d’agir sur la vision de ce type d’outils par les publics afin de transformer la perception d’un outil de surveillance en un outil de protection pour en assurer une meilleure acceptation.

En tout état de cause, les futurs résultats scientifiques tirés des expérimentations des caméras-piétons sur la police française devraient pouvoir améliorer l’approche terrain en mettant en lumière, de façon encore bien plus explicite, les opportunités et faiblesses liées à cette technologie de terrain.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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