Ce que l’analyse des sondages nous dit de la candidature avortée de Xavier Bertrand

« Pour l’instant, vous n’êtes même pas au second tour dans les sondages. » C’est ainsi qu’avait réagi Anne-Sophie Lapix, dans le journal télévisé de France 2 du 30 septembre, face à Xavier Bertrand. Ce dernier venait de déclarer être « le mieux placé » pour « porter ce changement ». Cette scène nous rappelle que Xavier Bertrand a construit en partie sa pré-campagne présidentielle autour de sa supposée « puissance sondagière ».

Or, alors qu’il a été battu dès le premier tour de la primaire interne aux Républicains, cette défaite pourrait s’expliquer par son incapacité à apparaître comme un candidat significativement mieux placé que ses autres concurrents à droite. C’est en tout cas ce que suggère une analyse des sondages pré-électoraux réalisés entre septembre et novembre 2021.

Agréger les sondages pour saisir des régularités

Les sondages sont avant tout des instruments au service des médias, transformant l’élection présidentielle en « course de petits chevaux » pour reprendre les mots de Patrick Lehingue. Ils servent aussi les candidats, leur permettant de se prévaloir d’une capacité à mobiliser autour d’eux les citoyens. Ils sont donc la plupart du temps interprétés sur le vif dans le débat public.

Pourtant, étant répétés dans le temps, les sondages permettent aussi de voir des régularités dans les profils des électeurs potentiels des différents candidats.

C’est pourquoi nous avons collecté, entre septembre et novembre 2021, les intentions de vote pour l’élection présidentielle de 2022. Ce travail a été fait à l’échelle de l’ensemble des répondants certains d’aller voter, mais aussi selon le sexe, l’âge, la CSP, le niveau de diplôme et le vote en 2017.

Agréger ainsi les intentions de vote n’est toutefois pas anodin dans la mesure où la méthodologie des instituts privés peut apparaître discutable, notamment le recours quasi-exclusif à des enquêtes en ligne auprès de panels de répondants quasi-professionnels, la faiblesse des échantillons de répondants dont les intentions de vote sont comptabilisées ou encore la sous-représentation des personnes les moins intéressées par la politique.

Ces problèmes sont autant dus aux logiques marchandes de l’activité de sondage qu’à des dynamiques sociales et politiques structurelles, plus difficiles à corriger.

Un candidat en mauvaise posture

Si on regarde les intentions de vote en faveur de Xavier Bertrand (voir figure 1), on constate un retrait par rapport aux candidats du centre ou de l’extrême droite. Il ne recueille en moyenne que 13,7 % des intentions de vote, loin derrière Emmanuel Macron (24,1 %) mais aussi derrière Marine Le Pen (17,2 %) ou Éric Zemmour (14,1 %), la différence avec ce dernier étant toutefois ténue.

La figure ci-dessus permet de visualiser l’écart entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron d’un côté et Xavier Bertrand, très légèrement dépassé par Éric Zemmour, de l’autre. Dans ces conditions, afin de mieux comprendre les difficultés rencontrées par le candidat Bertrand, il peut être intéressant de comparer sa base électorale présumée à celle de l’ancien candidat Fillon de 2017.

Une base électorale potentielle rétrécie

Comparer les intentions de vote pour Bertrand en 2021 au vote Fillon en 2017 nous permet de constater que Xavier Bertrand est incapable de réunir les électeurs ayant voté Fillon en 2017. Ainsi, en moyenne, seuls 47,5 % des sondés ayant voté Fillon en 2017 déclarent avoir l’intention de voter Bertrand. Les autres déclarent à 21,8 % avoir l’intention de voter Macron et à 18,5 % Zemmour (voir figure 2).

Xavier Bertrand semble dès lors avoir été confronté à un rétrécissement de sa base électorale potentielle. D’un côté, des électeurs Fillon très conservateurs, tant sur les questions économiques que sociales, mais qui se refusent à voter pour le RN, annoncent se tourner désormais vers Zemmour. À ce titre, rappelons que, en 2017, François Fillon avait certes vu se détourner de lui, au cours de la campagne, près d’un tiers de ses électeurs potentiels, mais qu’il avait su rallier dans les dernières semaines de la campagne des électeurs plus à droite qui, initialement, avaient plutôt l’intention de voter Le Pen.

D’un autre côté, des électeurs Fillon se tournent désormais vers le vote Macron, comme ce fut déjà le cas au second tour en 2017 mais aussi lors des européennes de 2019. Cette dernière dynamique explique d’ailleurs les relativement mauvaises performances d’Emmanuel Macron en termes d’intentions de vote en cas de duel avec un candidat de droite au second tour. Il serait en effet moins à même d’obtenir les reports de voix de la gauche mais aussi de la droite, une partie de l’opération ayant eu lieu dès le premier tour.

Un profil social toujours très marqué…

Xavier Bertrand, au même titre que les autres candidats LR potentiels, n’est pas non plus parvenu à rassembler au-delà du profil social très marqué que fut celui du vote Fillon en 2017. Ainsi, comme le montre la figure 3, les intentions de vote en faveur de Bertrand augmentent avec l’âge, passant de 4,7 % en moyenne chez les 18-24 ans à 24,1 % en moyenne chez les 65 ans et plus.

Si l’abstention différenciée selon l’âge, avec des urnes de plus en plus grisonnantes, limite l’impact négatif de ce résultat lors des scrutins locaux, l’incapacité des Républicains à attirer les suffrages des électeurs les moins âgés, qui s’était déjà renforcée en 2017, est particulièrement problématique dans un scrutin encore quelque peu mobilisateur comme l’élection présidentielle.

De la même manière, si Xavier Bertrand, par ses deux victoires successives lors des élections régionales de 2015 et de 2021 dans les Hauts-de-France a pu être considéré par certains comme en capacité de mobiliser autour de lui une partie des classes populaires, ce ne fut pas le cas tant au niveau national qu’au niveau régional.

Dans la perspective de la présidentielle, les catégories aisées ont bien plus l’intention de voter pour lui que les catégories populaires (voir figure 4), un résultat déjà visible en 2017, la droite ayant enregistré d’importants reculs au sein des actifs des classes populaires entre 2012 et 2017.

Il en était de même aux régionales de 2015 : les électeurs de droite y étaient plus âgés, plus diplômés, moins ouvriers et avaient des revenus plus élevés. Les victoires de Xavier Bertrand aux élections régionales de 2015 puis de 2021 s’expliquent surtout par une abstention significativement plus importante des électeurs qui votent habituellement pour la gauche et, plus largement, des classes populaires.

Toutefois, si on compare les intentions de vote en faveur de Xavier Bertrand et le vote en faveur de François Fillon selon la position sociale et l’âge, on observe que c’est dans les segments sociaux les plus favorables à la droite que Xavier Bertrand peine à séduire : le différentiel entre le vote Fillon et l’intention de voter Bertrand est de – 6,3 points parmi les retraités, de – 8,3 points parmi les 65 ans et plus et même de – 15,8 points parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures et de – 21,8 points parmi les agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise (voir figure 5).

Un vrai défi pour la droite

L’analyse agrégée de données de sondages nous permet d’éclairer la candidature avortée de Xavier Bertrand. Son échec est peut-être moins d’avoir été éliminé, de peu, du premier tour de la primaire interne aux Républicains que de ne pas avoir su susciter la dynamique plus large qu’il prétendait incarner. Il est en effet apparu en difficulté, au même titre que ses concurrents à la primaire, pour attirer les intentions de vote des électeurs qui s’étaient tournés vers François Fillon en 2017, la moitié lui préférant un autre candidat (principalement Emmanuel Macron et Éric Zemmour).

De même, les inégales propensions selon l’âge ou selon la position sociale à voter pour la droite, qui s’étaient accrues en 2017 et qu’on retrouve globalement pour les autres candidats de la primaire, n’ont en rien été remises en cause.

Une exception mérite toutefois d’être soulignée : entre 2017 et 2021, les actifs des classes supérieures semblent s’être significativement plus détournés de la droite, déclarant avoir davantage l’intention de voter en faveur d’Emmanuel Macron mais aussi d’Éric Zemmour.

Si ces conclusions ont été établies pour la candidature de Xavier Bertrand, elles devraient pousser toute la droite, y compris la candidate désignée Valérie Pécresse, à s’interroger sur sa capacité à remporter un scrutin présidentiel avec une base électorale potentielle socialement et politiquement si réduite.


Les auteurs remercient l’ensemble des étudiants ayant participé au codage des sondages : Jeanne Delhay, Alix Lemetais, Julia Mascarell et Saima Sellimi. Cet article s’inscrit dans le cadre du projet PEOPLE (Pratiques électorales et opinions liées aux élections) financé par ESPOL, par l’Institut catholique de Lille et par le CERAPS (CNRS/Université de Lille/Sciences Po Lille).

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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Marie Neihouser a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.

Julien Dorlencourt et Paul Desplaces ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.