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Danone : le statut d’entreprise responsable ne signifie pas s’affranchir de l’exigence des actionnaires

<span class="caption">L’entreprise a pour ambition de devenir à terme une «&nbsp;B. Corp&nbsp;» à 100&nbsp;%, une certification traduisant sa volonté de créer de la valeur en la partageant notamment avec les salariés.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ricochet64 / Shutterstock</span></span>
L’entreprise a pour ambition de devenir à terme une «&nbsp;B. Corp&nbsp;» à 100&nbsp;%, une certification traduisant sa volonté de créer de la valeur en la partageant notamment avec les salariés. Ricochet64 / Shutterstock

La nouvelle est tombée le 23 novembre 2020 : entre 1 500 et 2 000 postes seront supprimés chez le groupe agroalimentaire Danone, dont près de 400 en France. L’annonce faite par son PDG, Emmanuel Faber, est tombée comme un couperet. Elle s’inscrit dans un plan d’adaptation tracé par le patron du groupe d’agroalimentaire français, soucieux de renouer avec la croissance et la rentabilité.

M. Faber a réitéré son objectif d’une croissance des ventes de 3 % à 5 % à moyen terme, mais a dopé son ambition en termes de marge opérationnelle, évoquant désormais une marge comprise entre 15 % et 20 %. Un premier palier a été fixé pour 2022, avec le passage de la barre des 15 %.

En 2020, la rentabilité est attendue à 14 %, alors qu’elle était initialement prévue à 16 %. Pour atteindre ce nouvel objectif, le propriétaire des marques Evian, Vittel, Activia ou Blédina promet de se restructurer. Une telle augmentation de la marge opérationnelle ne se fera pas sans douleur que ce soit pour les salariés comme pour les sous-traitants.

La première « entreprise à mission » cotée

Naturellement, une telle annonce tranche avec les objectifs « sociaux, sociétaux et environnementaux  » introduits dans les statuts de l'entreprise en juin dernier après un plébiscite des actionnaires. Le groupe était alors devenu la première société française cotée à se doter du statut d’ « entreprise à mission » comme le permet la loi Pacte promulguée un an auparavant.

L'annonce du plan de suppression d'emplois tranche également avec le projet du PDG de transformer Danone en une « B. Corp » à 100% à terme. Cette certification, délivrée à quelque 3 500 sociétés dans le monde par un organisme sans but lucratif localisé aux États-Unis, traduit en effet la volonté de l'entreprise de créer de la valeur en la partageant avec tous, notamment ses salariés.

Selon la communication de Danone :

« Notre ambition de devenir une B Corp exprime notre engagement de longue date à créer durablement de la valeur et la partager avec tous, en ligne avec notre double projet économique et social. Aujourd'hui, les grandes entreprises et leurs marques doivent rendre compte des intérêts qu'elles servent réellement. La certification B Corp est une marque d’authenticité pour les entreprises qui ont des standards élevés de performance sociale et environnementale ».

Aujourd’hui, 27 entités de Danone ont obtenu la certification B Corp. En conséquence, plus de 45 % des ventes mondiales Danone sont désormais couvertes par la certification B Corp, ce qui représente une avancée significative vers l'ambition de Danone de devenir l'une des premières multinationales certifiées. Mais est-ce que cela met Danone à l’abri de l’exigence de rentabilité des actionnaires ? Visiblement non.

Selon Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière (FO), Danone se comporterait en réalité comme n'importe quelle entreprise capitaliste et ne ferait pas mieux que Brigestone : le fabricant de pneumatiques japonais avait annoncé le 12 novembre la fermeture de son site de Béthune (Pas-de-Calais) qui emploie 863 personnes.

Dans une interview accordée à Franceinfo, Yves Veyrier s'était étonné que le géant agroalimentaire français soit en difficulté quand il a « versé plus d'un milliard d'euros de dividendes aux actionnaires ». Selon lui, « les entreprises font tout pour favoriser la rentabilité de l'entreprise et Danone est encore plus clair. Il s'agit de rassurer les actionnaires. Il est temps qu'on mette fin à ces attitudes d'entreprises ».

Difficile de ne pas entendre ce que dit le secrétaire général de F0. Danone se retrouve bien entre l’enclume des marchés et sa volonté d’être une entreprise socialement responsable. Mais in fine, le PDG a tranché : il faut rassurer les actionnaires en améliorant sa performance économique et financière. Et cela contrairment de ce qu’il écrivait en 1992 dans son livre Main basse sur la cité : Éthique et entreprise : « Pourra-t-on établir un devoir au regard de la performance ? Non, bien sûr, puisque la performance est un sens vide ».

Moins rentable que ses pairs

Comme nous le mentionnons dans un précédent article « Et Danone changea de modèle… et transforma ses salariés en actionnaires » en juin 2018, aucun actionnaire connu ne dispose de plus de 10 % du capital et, avec un flottant de plus de 60 %, Danone est une société « opéable », c'est-à-dire particulièrement exposée à un rachat éventuel ; c’est dire si le management doit prendre au sérieux les exigences des actionnaires. À noter que malgré la politique sociale affichée, l’actionnariat salariés reste peu développé : les salariés n’ayant que 1,3 % du capital de leur société.

En plus de cette dispersion de l’actionnariat, la faiblesse des performances financières de l’entreprise ont conforté ce statut de société opéable de Danone dans les conditions de marché actuelles. L'amélioration de la rentabilité opérationnelle de l’entreprise apparaît dès lors comme une arme de protection contre un éventuel rachat.

Le tableau ci-dessous permet de voir la comparaison faite en 2017 par le hedge fund Third Point en matière de rentabilité globale (Total Shareholder Return : TSR) pour l’actionnaire sur les périodes de 5 et 10 ans des concurrents de Danone.

Third Point Public.
Third Point Public.

Selon le hedge fund, si Danone sous-performe à long terme par rapport à ses concurrents, c’est notamment du fait d’une croissance et des marges insuffisantes. La feuille de route apparaît donc clairement.

La performance boursière du titre Danone sur l’année écoulée reste également insuffisante par rapport à l’indice des biens de consommation ; preuve que la contre-performance du groupe agroalimentaire ne s’explique pas que par la crise sanitaire liée au Covid-19. Alors que sur les 12 derniers mois l’indice des biens de consommation a progressé de 12,8 %, l’action Danone a perdu 30,7 %.

En un an, le cours de bourse a chuté de 75 euros à un peu plus de 52 euros. Il était temps de réagir pour rassurer les actionnaires. Cependant, le plan dévoilé par le PDG n'a pas convaincu les marchés. À la suite de l’annonce, le titre continuait de baisser, affichant un recul de 2,6 % dans un marché faiblement orienté à la hausse.

Parmi les critiques, on note celles de la banque UBS qui conseillait de vendre, déplorant qu'il faille « attendre le deuxième semestre 2021 pour retrouver la croissance profitable » promise par Emmanuel Faber.

Certains chercheurs se sont interrogés sur le fait que la gouvernance des entreprises privées était davantage actionnariale que partenariale. Pour eux, l’explication se trouverait dans une insuffisance du droit des sociétés qui donnerait toujours la primauté aux actionnaires. Ainsi, le statut de B Corp serait une réponse à cette insuffisance. Le cas Danone montre bien que ce n’est pas le cas.

Dans un article publié en 2011, nous expliquions pourquoi, malgré les critiques, la gouvernance actionnariale reste la référence. Enfin, dans une recherche plus récente, nous montrions l’impact des actionnaires activistes sur les performances à court, moyen et long terme des entreprises européennes. De facto, et sans intervention manifeste des actionnaires activistes, le patron de Danone a intégré dans son projet de restructuration la demande des investisseurs.

Comme nous l’écrivions à l’époque du changement de modèle de Danone en juin 2018, le fait que Danone devienne une B Corp n’a pas fondamentalement changé l’équation financière auquel toute société cotée et non contrôlée doit résoudre. On concluait en écrivant : « L’avenir nous dira comment Emanuel Faber va pouvoir concilier les exigences des consommateurs et des marchés financiers avec sa volonté de faire en sorte que le but final d’une entreprise est social et sociétal ». Le 23 novembre 2020, nous avons eu la réponse.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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