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Diplomatie : de quoi l’Amérique de Joe Biden est-elle le nom ?

En matière de politique étrangère, Donald Trump a prôné et mis en pratique pendant quatre ans le principe « l’Amérique avant tout » (America First). Joe Biden a annoncé à ses alliés, dès son élection en 2020, que l’Amérique était « de retour » (America is back). Une formule qui impliquait, sur le plan international, un renouveau du multilatéralisme, ce dont les partenaires occidentaux des États-Unis n’ont pas manqué de se féliciter.

Huit mois après l’accession du candidat démocrate à la Maison-Blanche, de nombreux éléments de nature différente (continuité de plusieurs politiques de Trump, scènes éprouvantes à la frontière mexicaine, plusieurs ratés de politique étrangère) amènent à poser la question : l’arrivée de Biden a-t-elle vraiment changé la donne pour la France et les autres alliés de l’Amérique ?

Ces dernières semaines, cette question a encore gagné en acuité avec le retrait chaotique d’Afghanistan et l’affaire des sous-marins.

L’un s’est fait sans consultation des alliés et s’est soldé par l’abandon des femmes, des journalistes, des interprètes et de tous ceux qui avaient soutenu et aidé les troupes américaines pendant vingt ans et qui, sans possibilité de quitter l’Afghanistan, se retrouvent en danger de mort.


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L’autre a été qualifié de trahison américaine par Paris. Au-delà d’un cas de concurrence déloyale entre alliés, l’épisode qui a vu l’Australie renoncer à l’achat des sous-marins français au profit d’une nouvelle alliance avec Washington et Londres marque, du point de vue français, le refus américain de reconnaître le rôle de la France dans la zone Indo-Pacifique, alors qu’elle y compte plusieurs territoires, deux millions de ressortissants et 7 000 militaires.


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Dans le cas afghan comme dans la séquence australienne, le comportement américain semble relever du mantra « America First », que l’on croyait appartenir au passé. Faut-il toutefois accorder le bénéfice du doute à l’administration Biden ?

Le manque de personnel, raison de la cacophonie australienne ?

Le département d’État américain travaille en silos, c’est-à-dire que ses services fonctionnent de manière très indépendante les uns des autres, et ses responsables Asie n’ont sans doute pas tenu le département Europe au courant des négociations avec Canberra.

De surcroît, dans le système des dépouilles (spoil system) qui continue de prévaloir malgré ses nombreux effets pervers, un président doit nommer 4 000 personnes, dont 1 250 soumises à l’approbation du Sénat. Or, à ce jour, Joe Biden n’a obtenu la confirmation que de 137 de ses candidats, 226 autres attendant la leur, bloquée par les Républicains pour des raisons politiques, les centaines d’autres fonctionnaires attendant encore d’être nommés.

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Seuls 137 des candidats soumis à approbation du Sénat devant être nommés dans l’administration Biden sont en poste. US Senate

Certains départements sont donc dépeuplés et peu en mesure d’aider le président à prendre la meilleure décision. C’est ce que Joe Biden a laissé entendre à son homologue français lors de leur échange téléphonique, lorsqu’il a reconnu sa responsabilité dans l’absence de consultation avec Paris.

Quoi qu’il en soit, la tâche de Joe Biden en est rendue plus délicate. Son élection en 2020 fut un soulagement, mais ceux qui ont cru que tout allait changer ont été bien naïfs : au fond, les présidents américains, démocrates comme républicains, ont toujours eu pour priorité l’intérêt de leur pays, et cela se fait au détriment des autres.

Derrière les discours, America First

Sans nier ce que nous devons aux États-Unis, c’est toujours leur intérêt national qui prime derrière les discours de leurs dirigeants. Trump s’était contenté d’abandonner la partie « beaux discours » et d’opter pour des politiques impulsives et souvent contre-productives.

Il a imposé des droits de douane et d’autres vexations aux divers alliés de l’Amérique tout en apportant son soutien à bon nombre d’autocrates de la planète, et a donné au leader nord-coréen la visibilité qu’il souhaitait, sans rien obtenir en échange.


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Il a aussi sorti les États-Unis du partenariat transpacifique (TPP) – qui était, selon l’administration de Barack Obama (son initiateur), la pièce maîtresse du pivot vers l’Asie – et de l’accord avec Téhéran, ce qui a laissé l’Iran libre d’augmenter ses stocks d’uranium enrichi et, incidemment, a permis aux États-Unis de menacer de sanctions extraterritoriales les entreprises françaises et européennes qui continueraient à y investir.

Dans ce contexte, Joe Biden se devait de rassurer les alliés, rappeler l’importance du multilatéralisme malmené par Donald Trump et créer un front des démocraties pour lutter contre la Chine et les autocrates. Ce qu’il a tenté de faire dans son premier discours devant l’assemblée générale des Nations unies.

Et sur le papier, tout est parfait. Le discours est un mélange de belles paroles sur la démocratie, les droits humains et la nécessité d’agir ensemble, d’appels à la responsabilité (« nous devons » répété en leitmotiv), d’engagements divers (nous allons) et d’annonces chiffrées : 100 milliards de dollars pour le climat, 10 milliards de dollars pour lutter contre la faim dans le monde, sans oublier les distributions de vaccins.

Mais la réalité est que sa politique étrangère s’inscrit dans la continuité de celle de son prédécesseur au point d’être parfois qualifiée de répudiation de celle menée par Barack Obama dont il a été le vice-président pendant huit ans. Les droits de douane sont toujours en place, et si les États-Unis ont rejoint l’accord de Paris sur le climat, les négociations avec l’Iran n’avancent pas et rien n’est fait sur la Corée du Nord ou sur le partenariat transpacifique (TPP).

Alors, que peut faire Joe Biden ?

Un premier constat s’impose : la situation actuelle aux États-Unis est fort éloignée des beaux idéaux que Joe Biden a affichés à l’ONU. Difficile de rassurer les alliés et de restaurer l’attrait pour la démocratie et les droits humains quand on voit des hommes à cheval pourchasser des immigrants noirs (les lynchages dans les États du Sud ne sont pas si lointains).

Chacun se souvient, aussi, de l’attaque du 6 janvier contre le Capitole, siège du pouvoir législatif, au moment où les élus devaient certifier les résultats de l’élection présidentielle et permettre ce qui a toujours été un marqueur fort du système étatsunien : la passation pacifique du pouvoir. En outre, les fusillades et tueries demeurent régulières, de même que les bavures policières.

S’y ajoute le problème, majeur, du blocage institutionnel. Le président a beau promettre d’ambitieux plans d’infrastructures classiques (routes, ponts, haut débit) et d’infrastructures humaines (aides à l’enfance, scolarité gratuite à certains niveaux), annoncer un impôt minimal de 15 %, des engagements financiers et réglementaires pour lutter contre le réchauffement climatique, rien ne se fera tant que les Républicains refuseront de voter le moindre projet de loi.

Si l’on excepte un plan minimal de rénovation des infrastructures physiques qui s’élève en fait à 500 milliards de dépenses nouvelles et n’est pas encore adopté, le président et ses alliés démocrates n’ont avancé ni sur l’immigration, ni sur la réforme de la police et encore moins sur la protection du droit de vote.

Or, les modalités du vote sont de la compétence des États fédérés, dont 23 sont aux mains des Républicains (c’est-à-dire qu’ils y sont majoritaires dans les deux Chambres et détiennent le poste de gouverneur).

Les réformes adoptées en Géorgie et au Texas par exemple visent à tenir éloignés des urnes les Afro-Américains et autres minorités qui ont permis aux Démocrates de l’emporter en 2020. La Cour suprême ne fait rien car elle a déclaré inconstitutionnels les mécanismes de la loi sur le droit de vote (VRA) de 1965 qui permettaient d’interdire ces pratiques discriminatoires : la section 5 de la loi VRA sur le droit de vote imposait à certains États avec un historique de discrimination d’obtenir le feu vert du ministère de la Justice avant de procéder à des modifications de leur droit électoral (voir la décision Shelby en 2013).

Tout est bloqué car, au Sénat, la règle n’est plus la majorité de 50 voix mais une super-majorité de 60 voix, nécessaire pour mettre fin à l’obstruction législative. Et au moins deux sénateurs démocrates modérés refusent de mettre fin à l’obstruction.


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Tant que la règle de l’obstruction législative ne sera pas changée, il ne se passera rien. Les belles annonces resteront des mots et, en plus, les Démocrates risquent de perdre la plupart des élections pendant les années à venir. Quant aux alliés, certains se réjouissent certainement de l’implication des Américains dans la zone Indo-Pacifique mais, sans être nécessairement derrière la France, ils ont compris qu’eux aussi ne sont que des variables d’ajustement et que ce sont peut-être eux qui, la prochaine fois, feront les frais de la stratégie américaine.

Pour reprendre le slogan du président Biden, certes l’Amérique est de retour… mais c’est l’Amérique de toujours, celle qui fait passer ses intérêts stratégiques propres avant tout le reste, sans trop s’embarrasser des autres pays et des alliés qui est de retour. Est-elle si éloignée finalement de l’America First de Trump ? L’avenir le dira.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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