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Gestion de la pandémie au Québec : confinement sévère, résultats mitigés

<span class="caption"> An empty Turcot Interchange is shown in Montreal, Saturday, January 9, 2021, as the COVID-19 pandemic continues in Canada and around the world. The Quebec government has imposed a curfew to help stop the spread of COVID-19 starting at 8 p.m until 5 a.m and lasting until February 8.THE CANADIAN PRESS/Graham Hughes</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span>

Le 9 janvier 2021 marque un jour noir pour les libertés individuelles au Canada avec l’imposition, par le gouvernement du Québec, d’un couvre-feu touchant l’essentiel de sa population et assorti d’amendes allant de 1500$ à 8000$.

Quelles sont les justifications pour cette mesure historique ?

Lorsqu’un journaliste a posé cette question, à la suite de l’annonce du couvre-feu, le premier ministre François Legault et le directeur de la Santé publique du Québec, Horacio Arruda, ont répondu que le gouvernement ne disposait d’aucune évidence scientifique quant à la pertinence du couvre-feu. Il désirait, avant tout, envoyer un signal fort à la population pour lui rappeler la gravité de la situation sanitaire.

Le co-chef de Québec Solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, qui a relancé la question des preuves scientifiques appuyant une telle mesure, s’est fait rabrouer par le bureau du premier ministre, sans obtenir plus d’information à ce sujet.

Chercheur en biophysique, je travaille depuis plusieurs décennies sur des enjeux de science et société. J’ai publié, en novembre dernier, un essai, Pandémie, quand la raison tombe malade, dans lequel je propose une réflexion critique sur les enjeux profonds que la crise sanitaire a révélés sur le fonctionnement et la communication de la science, la lourdeur des appareils d’État, le rôle des médias, le comportement des élus et la place des plus vulnérables dans les orientations politiques.

<span class="caption">La rue Sainte-Catherine, principale artère commerciale de Montréal, est vide, samedi le 9 janvier. Le gouvernement du Québec a imposé un couvre-feu de 20 heures à 5 heures du matin, jusqu’au 8 février.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span>
La rue Sainte-Catherine, principale artère commerciale de Montréal, est vide, samedi le 9 janvier. Le gouvernement du Québec a imposé un couvre-feu de 20 heures à 5 heures du matin, jusqu’au 8 février. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Des mesures sévères aux résultats mitigés

Cette réponse des autorités était prévisible. Depuis le début de la pandémie, le gouvernement Legault, comme beaucoup d’autres sur la planète, a multiplié les restrictions aux droits fondamentaux en les justifiant par l’urgence sanitaire. Il offre rarement une explication crédible ou une analyse pour justifier celles-ci, comme si l’imposition de mesures inspirées de l’étranger, notamment allemandes, éliminait la nécessité de démontrer l’absence d’alternatives moins radicales à la gestion de la crise sanitaire, bien réelle.

Dès le début octobre, le gouvernement a imposé la fermeture des bars, des musées, des bibliothèques publiques, de même que des salles à manger et des terrasses de restaurants, même si les risques de contamination dans plusieurs de ces endroits, avec les mesures déployées à l’été, sont très faibles. Contrairement à de nombreux pays, il a aussi interdit à ses citoyens de recevoir famille ou amis.

Ces décisions ont fait porter de manière disproportionnée le poids de la gestion de la pandémie aux personnes les plus vulnérables de la société : les familles monoparentales, les plus pauvres, les communautés immigrantes et, de manière plus large, les femmes et les jeunes.


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Ainsi, même avec un nombre de cas par habitant plus élevé que le Québec depuis octobre, l’Allemagne n’a pas de couvre-feu. Ce pays a encadré, mais n’a jamais interdit les rassemblements privés, resserrant les contraintes seulement le 5 janvier dernier. De même la France, qui a un couvre-feu, permet aussi les rassemblements privés de 6 personnes, et les musées et bibliothèques, sont ouverts.

Pourtant, malgré des contraintes qui se démarquent au niveau canadien par leur dureté, le Québec est la province qui compte le plus de décès, en absolu et par habitant, à la fois pour la première et la deuxième vagues. Ces décès s’accompagnent, même pour la deuxième vague, d’un taux de mortalité par cas beaucoup plus élevé : 1,7 % de décès par cas au Québec, contre 1,24 % en Ontario et 1,04 % en Alberta).

Cela suggère que, malgré son coût social important, l’approche québécoise réussit moins à protéger les personnes à risque qu’ailleurs au Canada.

La déclaration d’urgence sanitaire donne à l’exécutif des pouvoirs presque absolus. C’est donc les yeux rivés sur les sondages que le premier ministre et sa garde rapprochée ont piloté la réponse à la pandémie, ignorant parfois les avis de la Santé publique. La tactique est la même : Québec lance un ballon, un spin (zone rouge, fermeture des restaurants, couvre-feu), et observe la réaction du public.

L’échec du dépistage et du traçage

Or, si le gouvernement Legault a multiplié, depuis mars dernier, les restrictions à ses citoyens, il a négligé de déployer et de structurer une réponse gouvernementale qui aurait pu faciliter le contrôle de la pandémie.

Ainsi, quelques jours seulement avant que le gouvernement ne place la grande région de Montréal en zone rouge, le premier octobre dernier, la santé publique réduisait significativement ses efforts de traçage. Elle remettait la responsabilité entre les mains des nouveaux contaminés, malgré une gestion chaotique des tests de dépistage, ralentissant l’identification des nouveaux cas et favorisant la progation du virus. Bien que les efforts de traçage aient repris en novembre, ceux-ci restent encore largement insuffisants.

Aujourd’hui, alors que les hôpitaux peinent à traiter les quelque 1500 patients hospitalisés pour la Covid-19, malgré un nombre de cas qui plafonne depuis le 28 décembre. Le gouvernement du Québec, comme beaucoup d’autres, semble piégé par la stratégie de coercition menée depuis le mois de mars.

Le système hospitalier a déjà suspendu l’essentiel de ses autres activités non urgentes. On estime que le nombre de Québécois qui attendent depuis plus d’un an pour une chirurgie a presque quadruplé dans la province depuis le début de la pandémie.

<span class="caption">Une femme promène son chien, à Montréal, un peu avant le couvre-feu de 20 heures imposé par Québec. Sortir son chien est l’une des dérogations permises pour justifier sa présence hors de son foyer.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Paul Chiasson</span></span>
Une femme promène son chien, à Montréal, un peu avant le couvre-feu de 20 heures imposé par Québec. Sortir son chien est l’une des dérogations permises pour justifier sa présence hors de son foyer. La Presse Canadienne/Paul Chiasson

Des actions positives

D’autres options sont possibles, pourtant. La vaccination a connu quelques ratés de départ, et si les approvisionnements sont pour l’instant ralentis, pour des raisons que ne contrôle pas Québec, la majorité des personnes les plus à risques devraient être immunisées d’ici la mi-février.

Autre option : le rappel, par des mesures incitatives, du personnel soignant qui a quitté le système depuis mars 2020. Cela permettrait, par exemple d’augmenter la capacité du système hospitalier tout en réduisant la pression.

De même, on aurait pu utiliser les 1,3 million de tests rapides, fournis par Ottawa et qui dorment depuis des mois dans les entrepôts du provincial. On sait qu’ils seront finalement déployés, mais « de manière prudente », sans plus de détails. Après avoir été rejetés car jugés non fiables, ils sont en attente d’une stratégie de déploiement dans les CHLSD, les résidences pour personnes âgées (RPA) et même les hôpitaux, où se concentrent les populations les plus à risque. Cela permettrait de réduire considérablement la propagation dans ces lieux et, après quelques jours, les nouvelles hospitalisations.

En parallèle s’impose le déploiement d’une campagne d’éducation de la population qui s’inspire, par exemple, de messages plus complexes et complets déployés par la santé publique américaine. Plutôt que de se contenter de répéter l’importance du lavage de main et de la distanciation physique dans les lieux de passage, ces messages expliquent comment, par exemple, des grands-parents peuvent rencontrer leurs petits-enfants sans s’exposer inutilement, comment diminuer les risques lors d’un rassemblent à la maison, etc.

De même, il est plus que temps que Québec lance une campagne d’information au sujet des vaccins.

Seule une stratégie globale permettant une vie normale sur la durée, dans le respect des droits fondamentaux, devrait être acceptable pour éviter les dérapages.

Si personne n’a la recette parfaite, d’autres pays sur la planète, tels que Taïwan, le Japon et, sous plusieurs aspects, la Suède, ont réussi à mieux relever ce défi, avec des approches et des objectifs très différents. Il n’y a pas de raison pour que le Québec ne puisse faire la même chose.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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