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La sauvegarde du français passera par l’éducation et un meilleur dialogue avec les jeunes

<span class="caption">De jeunes acheteurs font la queue pour l'ouverture d'un magasin de vêtements le vendredi noir à Montréal, le vendredi 27 novembre 2020. </span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson</span></span>
De jeunes acheteurs font la queue pour l'ouverture d'un magasin de vêtements le vendredi noir à Montréal, le vendredi 27 novembre 2020. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson

Le bilinguisme au Québec ne doit pas se vivre au prix du déclin de la langue française. L’horizon semble inquiétant, mais la sauvegarde du français passera par l’éducation et le dialogue avec la jeunesse.

La substitution progressive d’une langue par une autre s’effectue sur la longue durée « et plusieurs symptômes ne manquent pas d’alerter l’observateur attentif », selon le sociolinguiste français Henri Boyer.

En tant que sociologue, chercheur et professeur dans le domaine de la formation à l’enseignement en langue française, je m’intéresse à la francophonie canadienne dans un contexte minoritaire ainsi qu’à l’éducation inclusive.

Depuis quelques années, le bilinguisme soustractif progresse, c’est-à-dire que la connaissance de l’anglais s’améliore, mais au détriment du français. À long terme, si le bilinguisme n’est pas additif, à savoir que l’anglais n’a pas d’effet néfaste sur le français, un individu peut abandonner la pratique du français au profit de l’anglais.

Le bilinguisme est en constante progression depuis les années 1970. Plus de 44,5 % des Québécois francophones, en 2016, sont en mesure de soutenir une conversation en anglais, alors qu’ils étaient 42,6 % en 2011, 35,4 % en 1991 et seulement 27,6 % en 1971.


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En revanche, 14,7 % des jeunes de 25 à 34 ans, parlaient le plus souvent ou régulièrement en anglais en 2016, alors qu’ils étaient seulement 11,6 % à le faire en 1991. En conséquence, le français parlé à la maison chez cette catégorie d’âge est en constante diminution depuis 25 ans : de 85,5 % en 1991 à 81,8 % en 2016. De plus, le français parlé à la maison est conjointement parlé avec d’autres langues (de 1,7 % en 2011 à 2 % en 2016).

Au Québec, le bilinguisme est positif si la langue française maintient un poids démographique important et qu’elle est suffisamment protégée dans toutes les sphères de la société. Il ne s’agit pas ici d’un discours de fermeture envers l’anglais, mais plutôt de conscientisation sur les risques d’un bilinguisme soustractif et de valorisation d’un contexte additif dans lequel le français serait mieux protégé. Bref, la connaissance des deux langues doit être complémentaire et non compétitive.

La juste place de l’anglais

Selon le linguiste belge Jean‑Marie Klinkenberg, « la langue produit simultanément l’appartenance et le rejet. » La langue est un instrument d’altérité comme elle peut être une barrière à l’inclusion des autres langues. Il est à propos de réfléchir sur la place de la langue anglaise au Québec, car elle est souvent associée aux succès commerciaux, à la richesse, à la culture, au dialogue entre les peuples. Bref, à une certaine conception d’une ouverture sur le monde, alors que le monde francophone serait « très fermé » selon certains jeunes du Québec.


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La langue anglaise produirait l’appartenance, alors que la langue française produirait le rejet. La langue française ne serait donc plus attrayante et il semblerait que la communauté anglophone serait davantage en mesure d’intégrer la diversité culturelle et linguistique. Pourtant, la langue anglaise incarne aussi l’américanisation de la mondialisation libérale et elle accepte difficilement la cohabitation avec d’autres rivaux dans ce marché très compétitif des langues. Par exemple, la langue anglaise « menace surtout les langues porteuses d’une culture à vocation internationale, dans la mesure où ces dernières apparaissent comme des rivales de l’anglais et doivent être évincées. »

La langue française est porteuse d’une culture historique à vocation internationale, incluant une production culturelle singulière et diversifiée. Au Québec, la langue française doit être en mesure de (re)produire le sentiment d’appartenance, de promouvoir la richesse de notre bagage linguistique, historique et culturel commun. La langue française doit être en revanche plus inclusive et retrouver sa vocation universelle.

Promouvoir la langue française

Pour que nous voulions vraiment continuer à vivre en français, nous devons aimer notre langue et en être fiers. À titre de citoyens, nous devons aussi favoriser un dialogue avec, entre autres, cette jeunesse québécoise francophone, anglophone et allophone et interroger notre capacité à les accompagner dans cette découverte de la richesse de la langue française.

Selon la philosophe Hannah Arendt, « c’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer à la tâche de renouveler un monde commun. »


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Le renouvellement d’un monde commun passe par l’éducation, c’est-à-dire que la société doit outiller tous les Québécois à s’enraciner durablement dans la langue française. La solution n’est pas d’abandonner la jeune génération « hypnotisée » par les promesses néolibérales de la langue anglaise ; ni de la rejeter avec une certaine conception unilingue de la place du français au Québec, et ce, au détriment de la langue anglaise. Le bilinguisme doit devenir additif tout en permettant « d’atteindre un haut degré de compétence langagière dans les deux langues ».

Certes, la jeunesse doit réfléchir par elle-même sur la place du français dans les années à venir, mais nous devons essayer de l’accompagner et de l’outiller dès aujourd’hui. Nous devons être capables de nous laisser surprendre par sa capacité créatrice à harmoniser ses identités multiples à l’intérieur de la francophonie québécoise et mondiale. L’avenir du français au Québec en dépend.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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