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Lutter contre les noyades : faut-il instaurer un « permis de nager » ?

Les neuf noyades mortelles survenues le 15 septembre 2021 nous interpellent une fois de plus sur les modes d’apprentissage de la natation, le décalage entre les compétences acquises en piscine et leur pratique en milieu naturel, et donc leurs limites sécuritaires. La dernière enquête Noyades de Santé publique France indique, pour la période du 1er juin au 31 août 2021, un nombre total de 1 119 noyades accidentelles, dont 250 suivies de décès (22 %). 96 % de ces noyades sont survenues en milieu naturel (mer, rivière, plan d’eau) ou dans des piscines privées familiales.

La répartition des noyades, par catégories d’âge, est de 7 % chez les moins de 6 ans, 35 % chez les 25-44 ans, 37 % chez les 65 ans et plus, et atteint 48 % chez les 45-64 ans. Et parmi les personnes qui se noient, notamment en milieu naturel, certaines savent nager. Dans la tranche d’âge entre 15 à 25 ans, ils sont 94,8 % à déclarer savoir nager contre 64,7 % chez les plus de 65 ans.

Rappelons que, depuis 2006, dans le cadre du socle commun, les élèves doivent quitter le collège en ayant obtenu leur attestation scolaire du savoir nager (ASSN). Officiellement, elle « valide un niveau de compétence permettant de nager en sécurité dans un établissement de bain ou un espace surveillé ». 3,5 millions d’élèves français en moyenne suivent chaque année des leçons de natation.

Développer des outils de prévention

Hélas, si trop de Français se noient accidentellement, ce n’est pas tant qu’ils ne savent pas nager mais plutôt qu’ils n’ont pas su bien évaluer les conditions de nage et la surveillance et leur capacité à s’y adapter. En milieu naturel, ces contextes sont différents et bien plus variés que ceux d’une piscine publique surveillée par un personnel qualifié.

C’est pourquoi, dans le cadre de l’éducation physique scolaire obligatoire, ce savoir nager devait être davantage accompagné d’une dimension préventive au travers d’un permis de nager (Revue EP&S n°392, 2021), un peu sur le modèle de l’attestation scolaire de sécurité routière. En effet, le fait de savoir faire du vélo dans la cour de l’école ne garantit pas d’être capable de se déplacer à vélo dans un espace urbain avec des véhicules à moteur, des piétons, etc.

Ainsi, dans le domaine de la natation scolaire, nous encourageons les professeurs d’EPS et ceux des écoles à mettre en place un permis de nager, à partir de quizz numériques (type Kahoot !), pour apprendre à se servir de ses compétences en fonction des conditions matérielles, environnementales et humaines (sécurité) de nage ou de baignade. Adossé au test du « Savoir nager » scolaire, le permis de nager constitue une plus-value pour, sur un plan éducatif, limiter les risques de la noyade en France. C’est un outil préventif.

<span class="caption">En milieu naturel, les contraintes ne sont pas les mêmes qu’en piscine. (ici, en août 2021, à Cabourg, organisation par le Secours Populaire de la journée des oubliés des vacances)</span> <span class="attribution"><span class="source">Sameer Al-Doumy/AFP</span></span>
En milieu naturel, les contraintes ne sont pas les mêmes qu’en piscine. (ici, en août 2021, à Cabourg, organisation par le Secours Populaire de la journée des oubliés des vacances) Sameer Al-Doumy/AFP

Comme le souligne l’enquête de Santé Publique France, c’est par l’éducation, la prévention et la responsabilisation que l’on pourra très certainement faire baisser le nombre de noyades. Ce permis deviendrait également l’un des liens privilégiés qui viendraient enrichir le partenariat éducatif entre l’école et les parents. Sur l’Académie de Caen, nous œuvrons avec les professeurs d’EPS en collège et des écoles à la mise en place de ce permis de nager.

Il s’agit de certifier la prévention en sensibilisant les élèves et leurs parents aux bons usages de leur savoir nager lorsqu’ils sont en situation de se baigner en milieu naturel surveillé ou non. Rappelons que ce ne sont pas les techniques de nage qui éduquent les enfants ou les adultes mais plutôt les discours sur la mise en œuvre de ces savoirs. Peu coûteux en temps de préparation et de validation, le permis de nager est un pari préventif qui vaut la peine d’être tenté.

Aisance aquatique

Du côté de l’évolution de l’enseignement de la natation en France, nous sommes passés d’un enseignement (1880-1920) déréalisé de la brasse – c’est-à-dire se déroulant hors de l’eau dans la cour, classe ou préau des écoles en raison de la rareté des piscines – à un enseignement (1920-1960) de la brasse dans l’eau avec des systèmes de câbles et poulies (selon les méthodes de Paul Beulque et Ernest Trotzier) pour suspendre les élèves à la surface de l’eau et avec du matériel de flottaison comme la ceinture d’ébonite. Puis, à partir des années 1970-2021, on est passé à un apprentissage sans matériel, centré sur les invariants techniques : la respiration, l’équilibre, la propulsion, communs aux nages sportives (avec les méthodes de Raymond Catteau).

À l’école primaire, des années 1970 aux années 2020, les élèves ont davantage été exposés à un enseignement sans appareil ni matériel de flottation, davantage axé sur leur capacité à adapter leur motricité de terrien au milieu aquatique (Alain Vadepied) que sur l’acquisition des nages sportives. Nous qualifions cet enseignement de naturel dans la mesure où il expose en permanence et sans artefact les propriétés de l’eau à celles du corps humain en capacité de flotter naturellement et de se déformer pour glisser et se propulser de manière autonome.

La théorisation de ce courant naturel remonte au début du XXe siècle en France et à l’étranger. Toutefois, selon nos observations, depuis quelques années déjà, l’enseignement de la natation scolaire ou civile accorde une trop grande importance au matériel de flottaison ou propulsion (frite, ceinture, palmes…). Ces artefacts ne permettent pas finalement de mettre à distance la peur de couler et ne contribuent pas à se sentir à l’aise dans l’eau.

De nos jours, cette « aisance aquatique », qui reste toutefois un concept difficile à définir, constitue l’un des objectifs pour réduire, chez les plus jeunes, le nombre de noyades en France qui surviennent notamment dans les piscines privées familiales pas toujours très bien surveillées. Or, pour atteindre ce niveau requis à de bonnes conditions de sécurité, il faut, en amont, développer un enseignement naturel qui permet aux élèves ou enfants d’apprendre à se déplacer en autonomie complète (sans matériels de flottaison), dans une profondeur d’eau supérieure à leur taille.

C’est à partir de l’adaptation progressive de leur motricité usuelle de terrien au contexte de flottaison qu’on leur apprend à regagner, sans aide matérielle, le bord de la piscine et d’en sortir pour se mettre seul en sécurité. Sous-tendue par la volonté nationale – entre le Ministère des Sports, l’Éducation nationale, la Fédération française de natation et les collectivités territoriales – de réduire le nombre de noyades en faisant apprendre à nager à un maximum d’élèves ou d’enfants, l’opération « J’apprends à nager » incarne cette tendance actuelle autour de l’aisance aquatique.

Dans une certaine mesure, leurs propositions didactiques et pédagogiques renouent avec le courant naturel et ses pédagogues français (Grenet, Siener, Schœbel, Catteau) ou étrangers (Wiessner, Handley, Market). Gageons simplement que la mise en place d’un permis de nager (préventif) et le retour à un enseignement naturel pour obtenir, sans artefact, l’aisance aquatique puissent réduire le nombre de noyades accidentelles en France.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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