Initiative de journalisme local
Insultes, attaques, manque de respect envers l’appareil municipal: la situation est tendue conseil d’Abercorn. Et depuis la diffusion des séances sur YouTube au printemps dernier, les signes de cette ambiance toxique sont bien visibles. La Voix de l’Est a écouté quelques-unes des dernières séances ordinaires et extraordinaires du petit village frontalier de 359 âmes pour constater l’état de la situation. Malgré la présence d’un représentant du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, les couteaux volent bas autour de la table du conseil. C’est encore pire lorsque les conseillères Patricia McCollough et Margaret Macey ne savent pas que ledit représentant est là. Puisqu’elles refusent d’utiliser une caméra et un écran comme les autres, elles ne voient pas sa présence. Elles participent, tout comme Bernard Carey, aux séances par téléphone. Ce refus de montrer leur visage et de voir ceux des autres fait en sorte qu’il n’y a plus aucune étiquette et que les participants se font régulièrement couper la parole. Pourtant, il a été proposé d’utiliser le salaire qui ne sera pas versé à un conseiller démissionnaire, qui a quitté ses fonctions à la fin de l’automne dernier, pour acheter des tablettes électroniques et remédier à la situation. Le vote a été majoritairement en défaveur. Le décret gouvernemental qui permet aux conseils municipaux de tenir leurs séances publiques par visioconférence n’ordonne pas aux participants d’être à caméra ouverte. Les points à l’ordre du jour font souvent l’objet de débats durant lesquels les attaques et les insultes ont lieu. Au final, des séances qui ne dureraient qu’une trentaine de minutes ailleurs s’étirent pendant deux heures à Abercorn. Des réunions difficiles «Les réunions ne sont pas faciles. C’est très tendu et accusateur», a confié le directeur général Pierre Bell, qui fait lui aussi l’objet d’attaques. «Mon impression c’est qu’il y a des visions divergentes et que ça a causé des tensions. Il y a un énorme manque de respect envers le maire et l’institution municipale», a-til ajouté en ciblant deux personnes, sans les nommer. Ceux qui font le plus l’objet d’attaques sont le maire Guy Gravel, le conseiller François Cusson et le directeur général. Le prédécesseur de M. Cusson, Alain Sylvestre, est encore la cible de commentaires disgracieux lorsqu’il assiste aux séances publiques en tant que citoyen. Invité à décrire l’ambiance au conseil, le maire l’a qualifié de «très difficile». «C’est sain qu’on ait des opinions différentes. C’est ça qui fait notre démocratie, mais à un moment donné, il faut avoir un consensus pour avancer.» Le maire plus sévère Lors de la séance de janvier, M. Gravel a fini par demander à ce que le micro de Mmes McCollough et Macey soit coupé. «Quand je coupe le micro, je me sens un peu mal à l’aise, mais on n’a pas le choix, a constaté le maire Gravel, qui a affirmé faire preuve de patience. À un moment donné, il faut rétablir l’ordre. Je m’apprête à être plus sévère.» Le conseiller François Cusson a défini de son côté l’ambiance au conseil comme étant néfaste, toxique et inacceptable. Il estime s’être attiré les foudres des deux conseillères ainsi que de Denis Saint-François, le conseiller démissionnaire, au début de son mandat en décembre 2019, alors qu’il avait demandé à ce qu’il y ait plus d’argent au budget pour les loisirs. M. Cusson a fini par tenir un registre des insultes et des attaques à son endroit. Parmi celles-ci, il rapporte avoir été traité de «gros» publiquement par Mme McCollough l’été dernier. Il est également constamment coupé lorsqu’il prend la parole. «Je trouve ça malheureux qu’on n’ait pas plus de décorum comme conseillers. Je n’accepte pas qu’on me coupe lorsque j’ai à parler en public. Ça nous fait perdre nos idées, notre fil conducteur, le message qu’on veut passer», a-il plaidé. Il considère que certains scénarios mènent à des abus de pouvoir où certains élus dépassent leurs responsabilités et s’ingèrent dans l’administratif. Le conseiller municipal aimerait qu’il y ait plus de surveillance du MAMH et des impacts. Réponse «Je ne suis pas prête à mettre le chapeau de la méchante», s’est défendue au téléphone Patricia McCollough. En entrevue, Mme McCollough a lancé des allégations sur MM Gravel, Cusson et Bell. Elle assure ne pas faire d’ingérence et que le représentant du MAMH, à l’écoute, ne lui a jamais fait de remontrances. La conseillère a ensuite fait parvenir à l’auteure de ces lignes des courriels qu’elle avait envoyés au représentant du ministère, mais aucune des réponses de ce dernier. Selon elle, ça ne va pas bien depuis bien avant que les séances du conseil soient par visioconférence. «Ça ne va pas bien. De mon point de vue à moi, c’est que le maire, un conseiller et le DG essaient de décider de tout, qu’ils en disent le moins possible à la balance du conseil et quand il y a des plaintes, on ne le sait qu’à l’assemblée.» Elle considère que les conseillers ne reçoivent pas les documents relatifs aux points à l’ordre du jour suffisamment à l’avance, ce qui expliquerait à son avis leur attitude. Quant à Margaret Macey, elle n’a pas souhaité répondre à nos questions. ++++ Présence d’un conseiller du ministère En mai dernier, Abercorn a demandé l’aide du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation pour assainir l’ambiance du conseil. La Direction régionale de la Montérégie accompagne depuis l’été la municipalité. Le conseiller en affaires municipales Daniel-Joseph Chapdeleine assiste aux séances depuis quelques mois déjà, mais il n’intervient pas sauf si une question lui est directement adressée. Il n’est pas autorisé à imposer des sanctions. M. Chapdeleine a par ailleurs été invité à expliquer aux élus le rôle de chacun pour mettre fin aux imbroglios. Une première date a été proposée en juillet. «Il y a eu un boycottage de la rencontre. Quatre élus n’ont jamais voulu participer», a rapporté le directeur général Pierre Bell. Faute de quorum, la rencontre n’a pas eu lieu. Selon le directeur général, après avoir écouté la séance d’août, le fonctionnaire du MAMH a finalement accepté de faire une présentation. La rencontre a duré quelques heures en raison des nombreuses questions. Les conseillers Éric Bissonnette, François Cusson et Patricia McCollough ainsi que le maire Guy Gravel y ont participé. «Juste le fait que des conseillers ne se sont pas présentés pour avoir l’information du ministère, je trouve que c’est une forme d’opposition», juge le maire Gravel qui déplore une mauvaise compréhension des rôles et des responsabilités des élus.Cynthia Laflamme, Initiative de journalisme local, La Voix de l'Est