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Prix Nobel : les chercheurs canadiens aspirent à plus

<span class="caption">L'acronyme CRISPR signifie répétitions palindromiques courtes régulièrement espacées groupées, comme on le voit sur cette photo. Ces répétitions de séquences d'ADN retrouvées dans les bactéries sont séparées par des « espaceurs » dont les séquences diffèrent d’une bactérie à l’autre. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>

Le prix Nobel de chimie a été décerné cette année à la Française Emmanuelle Charpentier et à l’Américaine Jennifer Doudna pour le développement d’une technologie révolutionnaire permettant de modifier les gènes et connue sous le nom de CRISPR-Cas9.

Ce prix Nobel représente une complémentarité des efforts initiés par l’Américaine Frances Arnold, récipiendaire du prix Nobel de chimie de 2018, pour ses travaux en génétique moléculaire visant à créer de nouvelles protéines capables d’améliorer le bien-être de l’humanité.

Récemment, plusieurs réalisations faites par des femmes ont été reconnues par l’attribution du prix Nobel de physique à Donna Strickland en 2018 et à Andrea Ghez cette année.

Le prix Nobel de littérature a été attribué à deux femmes, soit à la Canadienne Alice Munro en 2013 et à l’Américaine Louise Gluck cette année ; ce qui a fait naître l’espoir que la Canadienne Margaret Atwood, double lauréate du prix Booker, pourrait aussi être bientôt reconnue par un prix Nobel.

Bien que les contributions exceptionnelles des femmes couvrent tout aussi bien les sciences pures, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques que les sciences humaines, et qu’elles soient appréciées et applaudies partout dans le monde, celles-ci ne représentent que la pointe de l’iceberg des réalisations de femmes savantes. Pour les sciences de la vie au Canada seulement, plusieurs femmes ont fait des découvertes monumentales dignes du prix Nobel.

<span class="caption">Prix Nobel de chimie 2020 pour Emmanuelle Charpentier, Jennifer Doudna et 2018 pour Frances Arnold. Prix Nobel de physique pour Donna Strickland en 2018 et 2020 pour Andrea Ghez.</span> <span class="attribution"><span class="source">Nobel Media. III. Niklas Elmehed</span>, <a class="link " href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:CC BY-NC-ND;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">CC BY-NC-ND</a></span>

La littérature ne demeure pas le seul domaine justifiant une reconnaissance d’une contribution canadienne par le comité Nobel. En effet, les découvertes antérieures d’un scientifique canadien constituent la base qui a mené à la technologie CRISPR-Cas9. Une documentation détaillée du contexte scientifique de cette découverte fournie par le comité Nobel offre un espoir crédible.

Qu’est-ce que CRISPR-Cas9 ?

Les professeures Charpentier et Doudna ont développé une boîte à outils qu’ils ont nommés CRISPR-Cas9, capable de modifier les gènes de tout organisme, des bactéries aux humains.

L’acronyme CRISPR signifie « Répétitions palindromiques courtes régulièrement espacées groupées ». Ces répétitions de séquences d’ADN retrouvées dans les bactéries sont séparées par des « espaceurs » dont les séquences diffèrent d’une bactérie à l’autre. Les espaceurs sont en fait des morceaux d’ADN qui représentent des traces « mémoire » laissées par des virus appelés bactériophages lors d’infections antérieures. Lors d’une réinfection, ces séquences permettent de reconnaître le bactériophage comme un élément étranger qui sera détruit immédiatement par une enzyme appelée Cas9.

La boîte à outils inventée par Charpentier et Doudna est basée sur la découverte de Charpentier en 2011 qui avait identifié deux petits ARNs abondants fabriqués à partir des répétitions et espaceurs d’ADN CRISPR.

En 2012, Charpentier et Doudna ont montré que la fonction de ces deux ARNs était de guider Cas9 pour couper l’ADN de tout bactériophage qui aurait précédemment infecté la bactérie !

Dans un bond de perspicacité, Charpentier et Doudna ont réalisé qu’elles pouvaient joindre chimiquement les deux molécules d’ARN en une seule. Ce procédé simple permet de reconnaître n’importe quelle séquence cible d’ADN, et permet à Cas9 de s’y associer et de couper cet ADN, et ce dans n’importe quelle cellule de toutes les espèces vivantes. Beaucoup d’espoir repose actuellement sur la capacité de réparer la coupure d’ADN en provoquant un changement dans la séquence, ce qui permettrait par exemple de corriger des mutations causant des maladies.

Bien que les problèmes éthiques soient énormes, il y a grand espoir que l’édition génique puisse rapidement devenir applicable à toute une gamme de maladies humaines pour lesquelles il n’y a aucun traitement.


Lire la suite: Ouvrir la boîte de Pandore: des humains « à la carte » par manipulation génétique


Un autre Canadien bientôt nobélisé ?

<span class="caption">Philippe Hovath, lauréat du Gairdner 2016.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Fondation Gairdner</span></span>
Philippe Hovath, lauréat du Gairdner 2016. La Fondation Gairdner
<span class="caption">Rodolphe Barrangou, lauréat du Gairdner 2016.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Fondation Gairdner</span></span>
Rodolphe Barrangou, lauréat du Gairdner 2016. La Fondation Gairdner

Le document décrivant les bases scientifiques du prix Nobel de chimie de cette année a mentionné la découverte préalable du système immunitaire adaptatif des bactéries par Rodolphe Barrangou, Philippe Hovath et le canadien Sylvain Moineau comme étant une des observations fondamentales qui a mené à l’établissement de la machine d’édition CRISPR-Cas9.

Deux articles de ces chercheurs sont mis en évidence dans ce document. Le premier décrit la découverte de gènes associés à CRISPR (gènes Cas) qui identifie le système de mémoire des bactéries infectées par un bactériophage. Dans son laboratoire de l’Université Laval à Québec, Moineau a montré que Cas9 était le ciseau génétique utilisé par les bactéries pour cliver l’ADN étranger et détruire les bactériophages infectieux. Charpentier et Doudna ont ensuite découvert que c’est le duplex d’ARN qui permet de guider Cas9 vers le bactériophage envahisseur pour le détruire.

Aucun prix Nobel n’a encore été décerné pour la découverte de ce qu’on appelle l’immunité adaptative bactérienne. L’espoir est maintenant très grand pour que le trio, Barrangou, Horvath et Moineau soit reconnu par le comité dans un avenir très proche.

Fierté pour la science canadienne

Cette année, Michael Houghton de l’Université de l’Alberta à Edmonton, a reçu le prix Nobel de médecine ou de physiologie pour sa découverte du virus de l’hépatite C. Cette reconnaissance est particulièrement pertinente, puisqu’elle apporte un nouvel éclairage sur le scandale du sang contaminé qui n’est toujours pas résolu.

En 1997, la commission Krever détaillait en trois volumes de plus de 1000 pages les erreurs qui ont conduit à des milliers de décès au Canada. Ceux-ci étaient dûs au fait que les Canadiens ne savaient pas qu’ils recevaient du plasma contaminé par les virus du sida et de l’hépatite C. La plupart des infections et des décès ont été causés par le virus de l’hépatite C.


Lire la suite: Comment la découverte de l’hépatite C par un chercheur albertain a conduit au prix Nobel et sauvé des vies


La reconnaissance d’un chercheur de l’Université de l’Alberta par le comité Nobel démontre une fois de plus la qualité exceptionnelle et le très haut niveau des universités canadiennes. Ceci confirme les reconnaissances passées par comité Nobel, et incluent le prix Nobel de physique à Art McDonald (2015) de l’Université Queen’s, et de Donna Strickland (2018) de l’université de Waterloo. McDonald et Strickland ont reçu des appels téléphoniques de félicitations de la part des premiers ministres du Canada de l’époque. Houghton espère encore !

Les Canadiens et les Canadiennes soutiennent généreusement les chercheurs scientifiques et leurs laboratoires grâce à leurs impôts. Ils permettent à nos institutions de prospérer et contribuent au maintien de la recherche afin d’améliorer le bien-être de tous. La capacité d’attirer, de recruter et de garder les meilleurs talents scientifiques nécessite des mécanismes stables de financement de la recherche et un environnement civique fier des réalisations de ses chercheurs.

John Bergeron remercie Kathleen Dickson en tant que co-auteure et Imed Gallouzi (Université McGill) et Benoit Chabot (Université de Sherbrooke) pour les idées, corrections et modifications.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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