Rendre les camps de migrants invisibles ne les fera pas disparaître

<span class="caption">L'évacuation du camp de migrants place de la République à Paris.</span> <span class="attribution"><a class="link " href="http://www.afpforum.com/AFPForum/Search/Results.aspx?pn=1&smd=8&q=7977737592081888225_0&fst=camp+de+migrants+r%c3%a9publique&fto=1&mui=3&t=2#" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:MARTIN BUREAU / AFP;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">MARTIN BUREAU / AFP</a></span>

L’opération de police qui a brutalement démantelé, lundi 23 novembre, un éphémère camp d’exilés installé par des associations sur la place de la République, à Paris, a profondément choqué, y compris dans les rangs du parti du Président de la République.

Le rapport commandé par le ministre de l’Intérieur à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, ne retient le chef d’un usage disproportionné de la force que dans le cas d’un croc-en-jambe effectué par un commissaire sur un exilé qui tentait de s’enfuir.

Le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFFI), Didier Leschi, invité le jeudi 26 novembre sur France Inter, a quant à lui considéré que ce n’était « pas bien de dire qu’on n’est pas une société accueillante » parce que « ça finit par troubler la population ».

L’intervention policière faisait pourtant suite au démantèlement, la semaine précédente, d’un camp au pied du Stade de France, à Saint-Denis, qui abritait environ 2000 exilés, principalement afghans.

Cette opération avait déjà suscité de vives critiques des associations, en raison à la fois de sa brutalité, mais aussi du fait de l’absence de solutions d’hébergement pour de très nombreux migrants, qui se retrouvaient donc à la rue.

C’est pour sensibiliser à cette question que des associations avaient installé un camp de fortune sur la place de la République, avec les exilés qui avaient été délogés à Saint-Denis. Il s’agissait de rendre visible aux yeux de tous la situation de ceux qu’on refusait d’accueillir dignement.

Des images de violence indignes

L’opération de démantèlement frappe d’abord par sa violence, reconnue par le ministre de l’Intérieur lui-même, dans un rare désaveu des forces de l’ordre. Nombreux sont ceux qui ont souligné que les images de violence, qui ont tourné en boucle dans les médias et sur les réseaux sociaux, sont indignes d’une démocratie. Certains, dans les rangs de la police, avancent l’explication d’une formation inadéquate de la brigade qui a été dépêchée sur place en urgence, et qui n’était pas habituée à ce type d’opérations.

Cette explication, quoi qu’elle vaille, révèle en creux le véritable motif de l’opération : il fallait éviter que le camp s’installe, et ne devienne visible aux yeux des passants et de la presse.

Et il fallait donc agir en urgence, car le symbole de la faillite des politiques européennes d’asile n’était plus relégué aux confins de la ville, mais exposé en plein centre.

Dès lors, le but de l’opération n’était pas de résoudre le problème des camps, mais bien de mener une opération de communication, qui devait s’accompagner d’une démonstration de fermeté.

L’opération ne résoudra en rien le problème des camps : simplement, elle éloignera les migrants du champ de vision des passants, des objectifs des caméras et des appareils photo.

Une logique politique

En cela, elle s’inscrit dans une logique profondément ancrée dans nos politiques d’immigration et d’asile. Une logique qui consiste à repousser les migrants aux frontières de nos États, de nos villes et de nos champs de vision, pour qu’ils deviennent invisibles.

C’est la même logique qui gouverne le nouveau Pacte pour l’asile et la migration proposé en septembre par la Commission européenne : il s’agit d’externaliser au maximum la procédure d’asile, de repousser derrière la frontière ceux qui pourraient vouloir la franchir.

L’externalisation de l’asile procède de la même logique que celle du démantèlement des camps : il s’agit de soustraire aux regards ceux et celles qui veulent migrer en Europe, et que l’Europe se refuse à accueillir dignement. Faute d’avoir été pensées et organisées, les migrations sont devenues une anomalie à résoudre, un problème à régler. « L’État, construction sédentaire, méprise par nature le nomade », écrit justement François De Smet.

Et les politiques migratoires se sont dès lors placées dans une stratégie de résistance aux migrations, qui essaie d’empêcher celles-ci, de les contrôler et de les juguler, bien davantage que de les organiser.

Cette stratégie est vouée à l’échec, parce que les migrations sont largement déterminées par des facteurs exogènes, qui ne dépendent pas de politiques migratoires du pays de destination. Elle est également profondément déshumanisante pour les migrants : si la migration est un problème à résoudre, alors les migrants sont l’incarnation de ce problème. Et plus ils seront visibles, plus l’opinion publique sera convaincue que ce problème n’est pas résolu, et que les politiques échouent à contrôler l’immigration.

Garder des chiffres constants

C’est la raison pour laquelle les politiques menées par des gouvernements de gauche, en matière d’asile et d’immigration, ne diffèrent pas sensiblement des politiques menées par des gouvernements de droite : il s’agit de garder les chiffres constants, d’expulser le même nombre d’individus, pour ne surtout pas être taxé de laxisme.

Ce sont des politiques managériales, qui ne reposent plus guère sur des valeurs ou des principes, mais simplement sur le souci de ne pas faire varier la courbe des entrées et des sorties du territoire.

L’existence de camps de réfugiés, au sein même de l’Europe, symbolise un terrible échec collectif à mettre en place des solutions d’accueil et d’hébergement à la hauteur du projet européen.

Dans l’imaginaire collectif, les camps de réfugiés sont réservés aux pays en développement, volontiers dépeints comme des pays incapables de contrôler leurs frontières. Les camps existent parce que des solutions n’ont pas été trouvées. Et si ces camps s’installent en Europe, ce serait donc le signe que nous ne parvenons pas non plus, en Europe, à trouver des solutions.

Or, tant que des solutions n’auront pas été trouvées en Europe pour mettre en place de véritables politiques communes d’asile et d’immigration, ces camps continueront à exister. Ils confrontent chacun à l’idée que derrière les chiffres des entrées et des sorties du territoire, des demandes d’asile et des expulsions, il y a des hommes, des femmes et des enfants. Les camps cassent la logique managériale de nos politiques d’asile et d’immigration.

Sans aucun doute, ces camps sont le plus terrible symbole de l’échec de nos politiques d’asile et d’immigration. Ils rappellent que la « France terre d’asile » est un slogan qui n’a plus guère de matérialité. Et c’est bien ce symbole-là qu’il fallait ôter à la vue, lundi soir. Sans quoi, pour reprendre les mots de Didier Leschi, cela aurait pu « finir par troubler la population ».

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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