Sans des mesures plus écologiques, une hausse du réchauffement planétaire limitée à 1,5 °C sera hors d’atteinte
La quantité de dioxyde de carbone (CO2 que nous pouvons émettre tout en limitant le réchauffement planétaire à une cible déterminée représente le « budget carbone restant ». Aujourd’hui, cet outil des plus performants sert à définir les objectifs des politiques climatiques et permet de suivre la progression vers la carboneutralité — ou le zéro émissions nettes.
Le budget carbone s’apparente à un budget financier fixe, où le total des dépenses admissibles sur une période donnée est assujetti à un plafond tandis que toute dépense excédentaire à court terme exige une diminution des frais ultérieurs. De même, le budget carbone restant correspond à une quantité totale déterminée d’émissions futures, quantité suffisamment restreinte pour limiter l’augmentation du réchauffement planétaire avant que celui-ci n’excède les objectifs climatiques.
Selon les évaluations des scientifiques, le budget carbone restant varie considérablement. En effet, bien des études recourent à des approches différentes ou confèrent des définitions diverses à la notion de budget carbone. Par exemple, elles divergent d’opinion sur l’incidence des gaz à effet de serre — hors CO2 — sur les changements climatiques ou présentent de façon fragmentaire certains processus, notamment les effets des aérosols, ayant des répercussions sur lesdits changements.
Des plus variées, les estimations peuvent servir aussi bien à passer par pertes et profits des objectifs climatiques ambitieux qu’à soutenir que la transition vers une économie sobre en carbone peut se dérouler progressivement, sur plusieurs décennies. Toutefois, ni l’une ni l’autre de ces positions opposées ne reflète particulièrement bien l’incertitude actuelle.
La nouvelle méthode que nous avons élaborée produit une meilleure estimation du budget carbone restant aux fins de la cible de 1,5 °C fixée par l’Accord de Paris. Cette méthode tient également compte des principales sources d’incertitude. D’après nos conclusions, même si de plus en plus de pays s’engageaient à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, le budget carbone restant associé à un réchauffement planétaire de 1,5 °C ou moins n’en serait pas moins englouti plus de dix ans avant l’échéance prévue.
Voilà qui nous rappelle brutalement à quel point le temps nous manque pour réaliser l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris en matière de réchauffement planétaire.
A combien s’élève le budget restant ?
Selon les meilleures estimations, le budget carbone restant associé à la cible de 1,5 °C s’élève, à partir de 2020, à 440 gigatonnes de CO2. Si l’activité humaine à l’échelle de la planète continue de produire du CO2 au rythme actuel, nous défoncerons le budget carbone restant dans à peine plus de dix ans.
Bien sûr, une diminution du débit d’émissions permettrait d’étirer dans le temps le budget carbone restant. Pour éviter de le dépasser, il nous faudrait cesser complètement d’émettre du CO2. Avec un budget carbone de 440 gigatonnes à compter de 2020, les émissions de CO2 dans le monde entier devraient diminuer jusqu’à atteindre la carboneutralité vers 2040.
Toutefois, même en adoptant une telle approche, nous n’aurions qu’une chance sur deux de ne pas excéder l’objectif de 1,5 °C. Pour que la possibilité de réaliser celui-ci passe à 67 %, les émissions totales de CO2 devront rester en deçà des 230 gigatonnes. À la hauteur des émissions actuelles, il faudrait environ cinq ans pour y parvenir ; la carboneutralité serait atteinte d’ici 2030.
les émissions de CO₂à l’échelle de la planète ont diminué de 7 % par rapport au bilan carbone de 2019. À ce rythme, une baisse ininterrompue des émissions mondiales nous permettrait d’atteindre la carboneutralité vers 2035 ; nous aurions alors de bien meilleures chances de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.
Mais cela n’arrivera pas si le monde entier n’unit pas ses forces pour infléchir la courbe des futures émissions. Leur diminution en 2020 était un effet secondaire des mesures adoptées afin de maîtriser la pandémie de Covid-19. Si les efforts de relance économique portaient davantage sur la réduction de ces émissions, l’objectif de 1,5 °C serait alors atteignable.
Changer le cours des émissions futures
En avril 2020, au plus fort du confinement à l’échelle du monde, les émissions quotidiennes de CO2 ont chuté de près de 20 % comparativement à la même période en 2019. Ces données nous fournissent une information précieuse sur l’utilisation optimale des investissements de reprise post-Covid-19 dans l’optique d’une diminution accrue des émissions.
Pour l’essentiel, cette baisse relative des émissions découle d’un fléchissement du transport routier, notamment le navettage des automobilistes, et de la circulation aérienne. Si nous avons tous souffert de l’absence d’interactions en présentiel, nous avons cependant beaucoup appris sur l’organisation de réunions, de présentations et d’activités collaboratives en ligne.
Bien sûr, les déplacements individuels se multiplieront dès que seront assouplies les mesures de confinement. En revanche, maintenant que nous avons suivi une formation accélérée sur le travail et l’apprentissage à distance, nous ne sentirons peut-être pas le besoin de nous déplacer aussi fréquemment que nous le faisions avant la pandémie de Covid-19.
atteindre la carboneutralité — c’est-à-dire à réduire leurs émissions de CO2 à zéro ou à un niveau correspondant à l’élimination programmée du CO2 dans l’atmosphère. Ces cibles devront orienter tout effort visant le respect des limites du budget carbone restant.
Parmi les États qui ont adopté des objectifs en matière de carboneutralité ou se sont engagés à le faire figurent les pays membres de l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Chine, le Canada et — sous la nouvelle administration Biden — les États-Unis. Actuellement, la plupart visent à atteindre leurs objectifs en 2050 (ou en 2060 pour ce qui est de la Chine).
Selon notre estimation du budget carbone restant, ces engagements ne permettront pas de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. Par contre, ils pourraient contribuer à le maintenir bien en deçà de 2 °C — soit le seuil maximal fixé par l’Accord de Paris.
reprise verte qui nous est offerte et éviter d’investir dans des infrastructures et des industries qui rendront inévitables des émissions futures de CO₂. Pourtant, dans le contexte de la Covid-19, les mesures de stimulation annoncées jusqu’à présent « ratent la cible », comme l’indique un rapport d’adaptation publié la semaine dernière dans le cadre du Programme pour l’environnement de l’Organisation des Nations unies.
Aucune consigne de confinement d’urgence ne permettra de réduire la vitesse du réchauffement climatique. Nous devons plutôt compter sur des efforts et des investissements substantiels, ciblés et soutenus appuyant la baisse continue des émissions mondiales de CO2, et ce, jusqu’à leur élimination totale. Comme la conjoncture s’y prête actuellement, ne ratons surtout pas l’occasion.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
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Kasia Tokarska reçoit un financement du projet CONSTRAIN de l'UE Horizon 2020. Elle est affiliée à l'ETH Zurich et à Climate Change AI.