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Troubles psychiatriques à l'entrée en prison : un enjeu de santé publique

  <span class="attribution"><a class="link " href="https://unsplash.com/photos/G_gOhJeCpMg" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:Hédi Benyounes / Unsplash;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">Hédi Benyounes / Unsplash</a>, <a class="link " href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:CC BY-SA;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">CC BY-SA</a></span>

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, bon nombre de chercheurs se sont inquiétés de l’impact de l’actuelle crise sanitaire et des périodes de confinement sur la santé mentale de la population carcérale. Mais que sait-on aujourd’hui de la prévalence des troubles psychiatriques en milieu pénitentiaire ? Cette population est-elle particulièrement vulnérable, et en quoi ?

Sur ces questions, l’enquête que nous avons récemment menée dans plusieurs maisons d’arrêt du Nord de la France est riche d’enseignements.

Des troubles psychiatriques très présents

En pratique, il n’est pas simple d’évaluer la santé mentale de la population carcérale. En milieu pénitentiaire, les études épidémiologiques se heurtent en effet à de nombreux obstacles tant sur les plans logistique (contraintes liées à l’environnement carcéral, accès aux personnes détenues, etc.) que réglementaire (législation et cadre spécifique) ou méthodologique (difficultés multiples pour obtenir un échantillon « représentatif » de l’ensemble de la population carcérale).

Ces contraintes expliquent probablement pourquoi très peu d’enquêtes sur la santé mentale ont été conduites jusqu’alors dans les prisons, en France notamment. D’après une analyse systématique des études publiées entre 1966 et 2010 dans une vingtaine de pays incluant la France, il semble toutefois que les troubles psychiatriques soient présents à des niveaux élevés en milieu pénitentiaire.

C’est que confirme l’étude qui fait référence dans notre pays. Publiée voilà quinze ans par l’équipe de Bruno Falissard, elle s’appuyait sur le double interrogatoire, par deux cliniciens, de quelque huit cents prisonniers sélectionnés au hasard dans vingt prisons. D’après ses résultats, 36 % des répondants présentaient un trouble psychiatrique de gravité marquée à sévère. Les diagnostics retenus par consensus entre les cliniciens étaient les troubles de l’humeur (28 % dont 24 % de dépression), les troubles anxieux (29 %), les troubles psychotiques (17 % dont 6 % de schizophrénie) et les troubles liés à l’usage de substance (19 %).

Les travaux que notre équipe a publiés au printemps dernier, dans le cadre de l’étude Santé mentale en population carcérale, viennent compléter ces données.

Une fréquence multipliée par trois

Plutôt qu’interroger des personnes emprisonnées depuis un laps de temps variable, comme cela a été fait par le passé, nous nous sommes focalisés sur la santé mentale d’hommes et de femmes à leur arrivée en prison. Plus précisément, nous avons interrogé 653 personnes – sélectionnées au hasard dans huit maisons d’arrêt du Nord et du Pas-de-Calais – dans les 72 premières heures de leur incarcération, c’est-à-dire avant que le stress du quotidien pénitentiaire n’intervienne.

L’un des intérêts du protocole choisi est d’autoriser la confrontation, sur un territoire particulier, de données en population carcérale et en population générale, en s’appuyant sur la même méthodologie d’évaluation et en tenant compte de l’âge et du sexe. Cela nous nous a permis de constater la très nette surreprésentation des troubles psychiatriques, mais aussi des conduites addictives, parmi les personnes récemment incarcérées.

En moyenne, les troubles liés à l’usage de substances (alcool et autres substances illicites) concernent environ un arrivant sur deux, ce qui correspond à un taux huit fois supérieur à la population générale. Quant aux troubles psychiatriques, ceux que nous avons étudiés s’y révèlent en moyenne trois fois plus fréquents.

C’est particulièrement le cas pour le syndrome psychotique (multiplié par 3,1) et le trouble dépressif caractérisé (2,9) dont les fréquences respectives ont été mesurées à 7 et 27 % à l’entrée en détention. Le trouble de stress post-traumatique apparaissait quant à lui six fois plus fréquent chez les personnes admises en détention qu’en population générale.

L’ensemble de ces troubles augmentent la probabilité à plus ou moins long terme qu’une personne réalise un geste suicidaire. De fait, ce risque suicidaire a été identifié chez 31 % des personnes détenues interrogées.

Deux troubles ou plus

Si les troubles psychiatriques se révèlent très fréquents chez les personnes nouvellement incarcérées, on constate aussi qu’en règle générale, elles n’en présentent pas un seul, mais plusieurs : nous avons relevé deux troubles ou plus pour près de 42 % d’entre elles, alors qu’en population générale, ceci n’est observé que pour 10 % des enquêtés.

Cette co-occurrence de plusieurs troubles a, on le sait, un impact important tant sur la prise en charge que sur la répétition des incarcérations, chez des personnes particulièrement fragilisées sur le plan socio-économique. Et alors que le ministre de la Justice a récemment lancé une nouvelle mission d’inspection sur les suicides en prison, notre enquête souligne la nécessité d’une prise en charge efficiente dans les maisons d’arrêt.

De toute évidence, l’accès à des soins psychiatriques de qualité doit s’imposer comme l’une des mesures de prévention incontournables pour lutter contre les suicides en population carcérale : le taux de suicide y est actuellement sept fois supérieur à celui observé en population générale, ce qui en fait l’une des principales préoccupations des soignants exerçant en milieu pénitentiaire.

Enfin, outre une réflexion sur l’accès à des soins de qualité, notre étude devrait pousser à réfléchir sur l’absence d’alternatives à l’incarcération pour les personnes diagnostiquées avec des troubles mentaux dans notre pays.


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Si notre enquête a mis en lumière des taux de prévalence très élevés pour les troubles psychiatriques et les conduites addictives chez les personnes nouvellement incarcérées dans les prisons françaises, plusieurs questions restent néanmoins en suspens.

Après la prison : suivre de près l’évolution

En effet, l’évolution de ces troubles au cours de la période d’incarcération demeure peu étudiée. En d’autres termes, on connaît mal l’impact de l’environnement carcéral sur la santé mentale. C’est pourquoi avec le soutien de la Direction générale de la santé, de Santé Publique France et de la Fédération de recherches en psychiatrie et santé mentale, une nouvelle étude a été lancée afin d’évaluer la fréquence des troubles psychiatriques lors de la libération.

Intitulée Santé en population carcérale sortante, et menée au niveau national, cette étude vise aussi à déterminer le parcours de soins des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques, que ce soit avant, pendant ou après l’emprisonnement.

Les trente jours qui suivent immédiatement la sortie de prison constituent une période critique, avec un risque important de décès par suicide ou par overdose, mais aussi de décompensation psychiatrique. Or, malheureusement, l’articulation des soins psychiatriques entre la période d’incarcération et la vie hors des murs de la prison est aujourd’hui loin d’être satisfaisante.

Soulignons-le : la santé mentale des personnes incarcérées est souvent fragile. Il s’agit là d’un enjeu de santé publique important qui va bien au-delà de la prison puisque l’ensemble des personnes détenues seront, de facto, libérées à l’issue de leur peine d’emprisonnement. Les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire devraient donc davantage s’articuler avec les services de soins en santé mentale en dehors des murs de la prison. Des dispositifs dits « d’interstice » pourraient être pensés, à l’instar des équipes mobiles transitionnelles expérimentées à Lille, et prochainement à Toulouse.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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Pierre Thomas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d&#39;une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n&#39;a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.