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Violences sexuelles sur mineurs : pourquoi la question d’un âge légal de consentement fait débat ?

Le Sénat vient d’adopter à l’unanimité en première lecture une proposition de loi fixant un âge de non-consentement du mineur à 13 ans pour les infractions sexuelles les plus graves (viol, agression sexuelle).

Cette volonté de poser un interdit sociétal clair est une réponse au « rendez-vous manqué » de la loi du 3 août 2018, dite loi Schiappa, qui ne posait pas clairement la question.

Elle revient en force, relancée par l’affaire Duhamel et le mouvement #MeetooInceste sur les réseaux sociaux.

Néanmoins cette proposition de loi sur le consentement continue de susciter le débat comme l’illustre la campagne #Avant15anscestnon.

Aujourd’hui en France, un rapport sexuel avec un mineur ne constitue pas de facto un viol (ou une agression sexuelle s’il n’y a pas pénétration), à la différence d’autres législations européennes (la présomption de non-consentement existe au Royaume-Uni pour les mineurs de 13 ans, et de 14 ans en Belgique).

En France, l’âge ne suffit pas à caractériser le viol

La majorité sexuelle de 15 ans ne détermine pas un âge légal de non-consentement, mais un âge en dessous duquel tout acte sexuel d’un majeur sur un mineur de moins 15 ans (ou plus de 15 ans si par ascendant ou personne ayant autorité) est illicite.

Un tel acte constitue en droit une atteinte sexuelle qui ne nécessite pas de prouver une situation de « violence, contrainte, menace, surprise ».

La question du consentement ne se pose pas. Or, il s’agit d’un délit, et non d’un crime, faisant encourir des peines d’emprisonnement moins sévères (passibles de 7 ans).

Pour qu’une relation sexuelle avec un mineur soit caractérisée de viol ou d’agression, la preuve doit être apportée qu’il a été commis par « violence, contrainte, menace ou surprise ». Autrement dit l’âge (moins de 15 ans) est une circonstance aggravante, mais ne suffit pas à caractériser les infractions les plus graves.

La Cour de cassation casse régulièrement des arrêts où il n’a pas été prouvé en quoi les actes ont été commis sur le mineur par violence, contrainte, menace ou surprise.

Des décisions d’acquittement ou de relaxe peuvent être prononcées faute de preuve du non-consentement du mineur (affaires de Melun et Pontoise médiatisées à l’automne 2017 par Médiapart) où l’on pensait que l’âge pouvait suffire à constituer la contrainte.

Dans la première, un homme de 20 ans accusé de viol sur une fille de 11 ans avait été acquitté par la Cour d’Assises ; dans la seconde, les faits de viol commis par un homme de 28 ans sur une fille de 11 ans avaient été requalifiés en atteinte sexuelle et renvoyés devant le tribunal correctionnel.

Plus récemment, dans une autre affaire, les juges n’ont pas retenu le baiser sur la bouche d’une personne ayant autorité sur son élève de 14 ans, comme agression sexuelle, considérant qu’il n’était pas l’« initiateur » du baiser.

Le droit pénal protège-t-il suffisamment le consentement du mineur ?

Au-delà du consensus social sur la gravité des actes, de l’intolérance croissante à l’égard des violences sexuelles commises sur les mineurs, la société reste incertaine sur leur qualification juridique.

Ces incertitudes expriment l’écart entre un discours social et politique qui s’attache désormais à dire que le consentement est une évidence et s’affiche clairement (« un enfant ne consent jamais ») et des pratiques judiciaires pour lesquelles ce critère engage des questions de preuves extrêmement complexes puisqu’il n’existe pas actuellement dans la loi en France un âge légal de non-consentement du mineur.

Dans le contexte de libération des mœurs et d’émancipation sexuelle des années 1970, la question du consentement du mineur avait été amenée par les défenseurs de la liberté sexuelle (comme certains homosexuels pour l’abrogation du délit d’homosexualité) et d’autres encore pour des raisons différentes, les défenseurs de pratiques pédophiles (dépénalisation de la sexualité entre adultes et mineurs).

Ces arguments ne seraient pas audibles aujourd’hui. Ce qui est interdit moralement et juridiquement c’est la relation sexuelle entre un majeur et un mineur, considéré comme une personne vulnérable, en devenir, sacralisée.

De profonds changements à l’œuvre

Cette évolution de société soucieuse de protéger davantage le mineur explique le retentissement des livres de Camille Kouchner et Vanessa Springora.

De profonds changements sont à l’œuvre en matière de permis et d’interdits sexuels (voir la conférence d’Irène Théry, « Les trois révolutions du consentement, pour une approche socio-anthropologique de la sexualité » Dalloz, 2002), liés au contexte des inégalités de genre, de lutte contre les violences domestiques, de critique du modèle patriarcal et de domination masculine.

Ces métamorphoses en cours, encore inachevées, et peu comprises, génèrent tensions et incertitudes, et posent des questions inédites en droit sur la frontière des âges : peut-on invoquer le consentement d’un mineur ? Est-ce que « céder » c’est consentir ? Comment décrypter la relation d’emprise ?

Les problèmes de preuve occupent une place centrale dans le débat judiciaire. Non seulement sur la matérialité des faits (absence de trace, de témoin, révélations tardives) mais aussi, et principalement, sur la partie la plus difficile à appréhender ces affaires : le non-consentement du mineur.

Caractériser l’infraction

Tout l’enjeu est de caractériser l’infraction, dans des affaires où la violence est peu commune, souvent imperceptible, discrète, et empêche l’enfant de résister ou de s’opposer à son agresseur.

La surprise est rarement adaptée pour des faits qui se répètent et ne sont pas isolés. La menace est souvent postérieure aux faits pour garder le secret. Enfin la contrainte est massivement contestée par les auteurs. Certains d’entre eux invoquent même un consentement de l’enfant, une séduction de sa part. Comment dès lors prouver l’absence de consentement en situation de violences sexuelles, lorsque la victime mineure n’a pas été frappée, menacée, et a fini par céder face à la situation d’abus ?

La jurisprudence retient l’âge de 6 ans, comme seuil irréfragable de non-consentement dans l’agression sexuelle (et viol si pénétration).

Le législateur a étendu la notion de « contrainte morale » aux asymétries d’âge et à la relation d’autorité entre auteur et victime, et vulnérabilité de cette dernière (en 2010 et 2018).

Le Conseil constitutionnel a rappelé dans une décision de février 2015 qu’« il appartient aux juridictions d’apprécier si le mineur était en état de consentir à la relation sexuelle en cause ». Les juges sont donc tenus d’apprécier in concreto, et rechercher au cas par cas, selon les situations, les circonstances, les personnalités des personnes impliquées, en quoi il y a eu atteinte au consentement du mineur.

La pratique des juges

La pratique judiciaire dans certains tribunaux correctionnels tend à montrer que les juges sont davantage enclins à considérer un abus sexuel d’un adulte sur mineur comme étant nécessairement une agression (au sens juridique), sans mentionner la « contrainte morale », ni préciser dans les comptes-rendus de jugement en quoi il y a eu « violence, contrainte, menace ou surprise ».

Étonnement, ils ont peu recours à la qualification d’atteinte sexuelle alors qu’elle est plus facile à caractériser puisque celle-ci n’implique pas la preuve du non-consentement. La distinction entre la qualification d’atteinte et d’agression semble de moins en moins acceptée dans les juridictions.

La présomption apparaît beaucoup plus forte dans les violences sexuelles intrafamiliales, lorsque l’auteur est un ascendant. Face à l’horreur de l’inceste intergénérationnel, les juges ont la certitude d’une contrainte. Il n’y a pas de débat sur le non-consentement du mineur. Ni sur la qualification d’agression.

Dans les tribunaux pour enfants, où sont jugés les délits sexuels commis par des mineurs, les juges sont confrontés à d’autres dilemmes.

À savoir comment distinguer ce qui relève d’un abus caractérisé, d’un simple jeu, ou d’une initiation sexuelle entre mineurs de mêmes âges ?

<span class="caption">Dans la pratique, les juges sont souvent confrontés à la question de la zone « grise » du consentement qui empêche de savoir s’il y a abus ou non dans une relation.</span> <span class="attribution"><a class="link " href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/jambes-etre-assis-sans-visage-photo-4858862/" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:Cottonbro/Pexels;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">Cottonbro/Pexels</a>, <a class="link " href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:CC BY;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">CC BY</a></span>

L’écart d’âge important (plus de 5 ans) apparaît alors déterminant, comme c’est le cas dans d’autres législations. Au Canada, la législation tient compte des écarts d’âge : 5 ans ou 2 ans selon les âges des mineurs.

Entre des adolescents de faibles écarts d’âge (moins de 2 ans), proches de la majorité sexuelle, on entre dans une « zone grise » du consentement (situations floues, tendancieuses).

Du crime au délit : une hiérarchie des viols

Dans les faits, les juges sont souvent confrontés à cette zone grise. Elle apparaît quand l’absence de consentement est plus difficile à établir et peut conduire à la correctionnalisation de certains viols.

Cette pratique se traduit en droit lorsqu’un même fait qualifié au départ de viol et donc de crime, devient un délit et est jugé, non pas en cours d’assises, mais en tribunal correctionnel (passible de 10 ans d’emprisonnement et non plus de 20 ans de réclusion criminelle).

Très critiquée par les associations de victimes car elle laisse un sentiment d’injustice, elle représente une part non négligeable des affaires. Ainsi, dans 30 % des cas, la qualification de viol à l’arrivée au parquet est modifiée au cours de l’instruction au profit de l’agression sexuelle ou de l’atteinte sexuelle.

En effet, dans les dossiers « fragiles » les juges cherchent à éviter le risque d’un acquittement par un jury populaire faute de pouvoir caractériser le non-consentement et préfèrent renvoyer l’affaire devant des magistrats professionnels en tribunal correctionnel afin qu’il y ait plus de garanties que la victime obtienne gain de cause.

Les récents travaux de sociologie de Véronique Le Goaziou ou de Sylvie Cromer confirment l’existence d’une « hiérarchie des viols » en lien avec le délicat problème de preuve de non-consentement.

Ainsi, les juges, et derrière eux la société entière, affirment aujourd’hui la certitude d’une contrainte inhérente à tout abus sexuel commis par un adulte sur un mineur.

C’est un indicateur majeur de l’évolution d’une société : celui de l’interdit des âges. Comment le législateur tiendra-t-il compte des spécificités d’âges (13, 15, 18 ans) et des rapports d’âge, entre d’un côté la nécessaire protection du mineur en raison de sa vulnérabilité, et de l’autre, son accompagnement pas-à-pas vers l’autonomie, en référence à la philosophie des droits de l’enfant et de l’ordonnance de 1945 ? Qu’en sera-t-il de l’inceste ? Parviendra-t-il in fine à énoncer avec force un interdit anthropologique devenu de plus en plus flou dans la loi ?

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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