La conscience fait-elle partie de la mécanique du cerveau ou est-elle « transcendante » ? Telle est la question...

<span class="caption">Les croyances au sujet de la conscience se classent en deux camps: ceux qui pensent qu’il s’agit d’un fantôme dans la mécanique de notre cerveau et d'autres qui considèrent que ce qu’on appelle conscience n’est qu’un signal parmi d’autres généré par notre mécanique neuronale.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>

En tant qu’individus, on a l’impression de savoir ce qu’est la conscience parce qu’on en fait l’expérience au quotidien. C’est ce sentiment intime d’une sensibilité personnelle que l’on porte en soi, ainsi que la sensation que nos pensées, nos émotions et nos souvenirs nous appartiennent et qu’on les contrôle.

La science n’est toutefois pas encore parvenue à un consensus sur la nature de la conscience, ce qui a d’importantes répercussions sur notre foi dans le libre arbitre et notre approche de l’étude de l’esprit humain.

Les croyances au sujet de la conscience se classent en deux camps. Il y a ceux qui pensent qu’il s’agit d’une sorte de fantôme dans la mécanique de notre cerveau qui mérite une attention particulière et une branche d’études. D’autres, comme nous, réfutent cette idée et considèrent que ce que l’on appelle conscience n’est qu’un signal parmi d’autres généré en arrière-plan par notre mécanique neuronale.

Au cours des 30 dernières années, la recherche neuroscientifique s’est progressivement éloignée du premier camp. S’appuyant sur des recherches en neuropsychologie cognitive et en hypnose, notre récent article plaide en faveur de la seconde posture, même si cela semble aller à l’encontre du puissant sentiment qu’on a d’être l’auteur de sa conscience.

Nous soutenons qu’il ne s’agit pas d’un sujet qui n’intéresse que les chercheurs. En laissant tomber l’image du fantôme de la conscience et en axant les efforts scientifiques sur les mécanismes de notre cerveau, on pourrait franchir une étape essentielle pour mieux comprendre l’esprit humain.

La conscience est-elle spéciale ?

Notre expérience de la conscience nous donne l’impression d’être aux commandes de notre monde psychologique. Mais d’un point de vue objectif, il n’est pas du tout évident que la conscience fonctionne ainsi, et la nature fondamentale de celle-ci fait encore l’objet de nombreux débats.

Cela s’explique notamment par le fait que nombre d’entre nous, dont des scientifiques, ont adopté une position dualiste sur la nature de la conscience. Le dualisme est une perspective philosophique qui établit une distinction entre l’esprit et le corps. Même si la conscience est générée par le cerveau — une partie du corps —, le dualisme prétend que l’esprit est distinct de nos caractéristiques physiques et que la conscience ne peut être comprise par la seule étude du cerveau physique.

Il est facile de comprendre pourquoi on a cette impression. Alors que tous les autres processus du corps humain fonctionnent sans aucune intervention de notre part, l’expérience de la conscience a quelque chose d’unique et de transcendantal. Il n’est pas surprenant que l’on traite la conscience comme quelque chose de spécial et de distinct des systèmes automatiques qui permettent la respiration ou la digestion.

Cependant, un nombre croissant de preuves issues du domaine des neurosciences cognitives — qui étudient les processus biologiques à la base de la cognition — remettent en question cette vision. Ainsi, des études ont attiré l’attention sur le fait que de nombreuses fonctions psychologiques sont générées et exécutées tout à fait indépendamment de notre conscience subjective, par une série de systèmes cérébraux non conscients, rapides et efficaces.

On peut prendre comme exemple le fait que l’on retrouve sa conscience sans effort chaque matin après l’avoir perdue en s’endormant, ou que l’on reconnaisse et comprenne instantanément, sans effort délibéré, les formes, les couleurs, les motifs et les visages que l’on croise.

On peut aussi considérer le fait que l’on n’a pas conscience de la façon dont nos perceptions, nos pensées et nos phrases sont produites, dont on retrouve des souvenirs ou dont on contrôle nos muscles pour marcher ou notre langue pour parler. En d’autres termes, on ne génère ni ne contrôle nos pensées, nos sentiments ou nos actions — on semble simplement les percevoir.

Développer sa conscience

La façon dont on ne fait que percevoir les pensées, les sentiments et le monde qui nous entoure laisse penser que notre conscience est générée et contrôlée en arrière-plan par des systèmes cérébraux qu’on ne remarque pas.

Notre récent article soutient que la conscience n’implique aucun processus psychologique indépendant distinct du cerveau lui-même, tout comme il n’y a pas de fonction supplémentaire à la digestion qui existe séparément du fonctionnement physique de l’intestin.

Une impression d’artiste des neurones dans le cerveau

S’il est clair que l’expérience et le contenu de la conscience sont réels, nous affirmons que, d’un point de vue scientifique, ils sont épiphénoménaux : des phénomènes secondaires basés sur les mécanismes du cerveau physique. En d’autres termes, notre expérience subjective de la conscience est réelle, mais les fonctions de contrôle et de propriété que nous attribuons à cette expérience ne le sont pas.

L’étude future du cerveau

Notre position n’est ni évidente ni intuitive. Mais nous soutenons qu’en continuant à considérer que la conscience est aux commandes, qu’elle se situe au-dessus et au-delà du fonctionnement physique du cerveau, et à lui attribuer des fonctions cognitives, on risque de semer la confusion et de retarder le développement de la compréhension de la psychologie et du comportement humains.

Pour mieux accorder la psychologie avec le reste des sciences naturelles, et pour être cohérents avec la façon dont on comprend et étudie des processus comme la digestion et la respiration, nous proposons un changement de perspective. Nous devrions rediriger nos efforts vers l’étude du cerveau non conscient plutôt que des fonctions précédemment attribuées à la conscience.

Cela n’exclut évidemment pas une recherche psychologique sur la nature, les origines et la distribution de la croyance en la conscience. Mais cela signifie qu’il faut recentrer les efforts scientifiques sur ce qui se passe sous notre conscience — là où, selon nous, se déroulent les véritables processus neuropsychologiques.

Notre proposition n’est pas satisfaisante sur le plan personnel et émotionnel, mais nous pensons qu’elle offre un cadre futur pour l’étude de l’esprit humain — un cadre qui s’intéresse à la mécanique physique du cerveau plutôt qu’au fantôme de la conscience.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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